Avantager un candidat à l’attribution d’un contrat de concession constitue un vice d’une particulière gravité
Par une décision du 15 mars 2019, le Conseil d’Etat a précisé les conséquences contentieuses d’illégalités révélant une volonté de l’autorité concédante d’avantager un candidat.
Dans cette affaire, la commune de Saint-Tropez avait conclu, après procédure de publicité et de mise en concurrence, une concession d’aménagement portant sur la restructuration urbaine de trois secteurs situés en centre-ville. Ce contrat de concession a été signé le 22 août 2011 avec la société Kaufman et Broad Provence. La société anonyme gardéenne d’économie mixte (SAGEM), candidate évincée, a saisi le tribunal administratif de Toulon d’un recours en contestation de la validité de ce contrat de concession. Ce recours a été rejeté par le tribunal, puis par la cour administrative d’appel de Marseille, et a ensuite fait l’objet d’un premier pourvoi en cassation au terme duquel l’affaire a été renvoyée devant la cour administrative d’appel de Lyon. Finalement, la SAGEM se pourvoit de nouveau en cassation contre l’arrêt par lequel cette dernière a rejeté son recours.
À cette occasion, le Conseil d’Etat apporte deux séries de précisions intéressant les contrats de concession en général, et les concessions d’aménagement en particulier.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat se prononce sur la légalité de la procédure de passation mise en œuvre par la commune de Saint-Tropez. À cet égard, il identifie trois motifs d’illégalité.
Premièrement, il relève que la commune ne pouvait régulièrement analyser les capacités économiques et financières de la société Kaufman et Broad Provence en y incluant celles de sa maison-mère, la société Kaufman et Broad SA, en l’absence d’engagement formel de cette dernière permettant de considérer qu’elle avait mis ses capacités et garanties à la disposition de sa filiale.
Deuxièmement, il relève également que la procédure de passation a méconnu le principe d’égalité dès lors que l’attributaire a été conseillé par l’architecte qui était également le maître d’œuvre de la commune, et avait notamment établi le dossier de permis de construire qui était alors en cours d’instruction et portait sur certains des ouvrages à réaliser ou faire réaliser par l’attributaire.
Troisièmement, il estime que le contrat signé est substantiellement différent du projet ayant fait l’objet de la procédure de mise en concurrence, notamment s’agissant du type de logements locatifs à réaliser ou faire réaliser par l’attributaire, ouvrant droit à des subventions publiques et de taux d’emprunt privilégiés, et de la surface de plancher à réaliser.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat est amené à se prononcer sur les conséquences de ces illégalités, dans le cadre de la diversité des pouvoirs dont il dispose depuis les décisions Tropic Travaux Signalisation et Département de Tarn-et-Garonne. C’est essentiellement de ce point de vue que la décision innove et se montre particulièrement didactique.
D’abord, le Conseil d’Etat affirme que la volonté de la personne publique de favoriser un candidat, affectant gravement la légalité du choix du concessionnaire, constitue un vice d’une particulière gravité insusceptible de régularisation. En l’espèce, il estime que les vices identifiés révèlent une telle volonté de la commune, pour en déduire logiquement que la sanction qui s’impose en principe est l’annulation – c’est-à-dire l’anéantissement rétroactif – de la concession d’aménagement.
Ensuite, il s’assure que cette mesure « ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général », et apporte deux précisions. D’une part, il observe que l’annulation de la concession d’aménagement est sans incidence sur les autres contrats passés pour son exécution, qu’il s’agisse de contrats conclus entre la commune et le concessionnaire (notamment des baux emphytéotiques administratifs) ou entre le concessionnaire et des tiers. D’autre part, il ajoute que ni l’arrivée à terme de la concession d’aménagement, ni l’existence d’un hypothétique droit indemnitaire du concessionnaire sur l’autorité concédante, ne sont de nature à s’opposer à l’annulation du contrat de concession.
Par conséquent, le Conseil d’Etat prononce l’annulation de la concession d’aménagement, à charge pour les parties de résoudre leurs relations juridiques, notamment financières, sur le fondement des règles extracontractuelles applicables.