Dépenses irrégulières, préjudice financier et responsabilité du comptable public
Par deux arrêts de Section du 6 décembre 2019, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de détailler les conditions d’engagement de la responsabilité personnelle du comptable public par un organisme public à raison d’un paiement irrégulier de dépenses.
Pour rappel, ce régime de responsabilité avait été posé par l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 qui se bornait principalement à prévoir que le comptable public était personnellement et pécuniairement responsable des contrôles qu’il était tenu d’assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine. Par la suite, l’article 60 de la loi de 1963 et le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public avaient été largement remaniés par l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011. En somme, il était désormais nécessaire, pour mettre en œuvre cette responsabilité, de rechercher l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations et d’un préjudice financier en découlant pour l’organisme public concerné, puis de fixer le montant de la sanction pécuniaire à prononcer.
Dans les deux arrêts commentés, le Conseil d’Etat précise plus particulièrement la manière dont doit être apprécié, par le juge des comptes, le lien de causalité entre le manquement du comptable et le préjudice financier. Pour ce faire, sont distingués trois types de manquements assortis de plusieurs niveaux de présomption.
Tout d’abord, si le comptable public est à l’origine d’un manquement portant sur l’exactitude de la liquidation de la dépense ayant abouti à un trop-payé, à une dépense non ordonnée, à une dette prescrite ou non échue ou à priver le paiement d’effet libératoire, il est présumé, sauf circonstances particulières, être à l’origine du préjudice financier de l’organisme public concerné.
Ensuite, si le manquement commis par le comptable ne porte que sur le respect de règles formelles, telles que l’exacte imputation budgétaire ou l’existence du visa du contrôleur budgétaire, une présomption inverse s’applique : sauf circonstances particulières, ledit comptable ne sera pas regardé comme ayant causé un préjudice financier à l’organisme public.
Enfin, les manquements aux autres obligations du comptable, « telles que le contrôle de la qualité de l’ordonnateur ou de son délégué, de la disponibilité des crédits, de la production des pièces justificatives requises ou de la certification du service fait », ne sont en principe pas regardées comme étant à l’origine d’un préjudice financier. Toutefois, cette présomption ne tient que si trois conditions sont réunies : la dépense doit reposer sur un fondement juridique, l’ordonnateur doit avoir voulu exposer cette dépense, et le service doit avoir été fait.
De manière générale, le juge doit contrôler l’exécution de ses obligations par le comptable à la date à laquelle il statue en prenant en compte, le cas échéant, des éléments postérieurs au manquement.
Dans l’affaire n° 418741, le manquement correspondait à la deuxième hypothèse en ce qu’il consistait uniquement en l’absence du visa du contrôleur général économique et financier de l’ONIAM sur un document fixant la rémunération d’une société prestataire. Est jugé que cet unique manquement n’est pas de nature à causer un préjudice financier à l’entité. Dans la seconde espèce, le comptable d’une collectivité avait pris en charge trois mandats signés par un ordonnateur non habilité. Cependant, conformément à la troisième hypothèse, dans la mesure où ces paiements avaient été effectués sur le fondement d’un marché public et de bons de commande, que l’existence des contrats révélaient la volonté de l’ordonnateur d’exposer les dépenses et que le comptable avait manifestement fait son service, aucun lien entre le manquement et le préjudice financier ne pouvait être caractérisé.
CE Sect., 6 décembre 2019, Mme A, req. n° 418741
CE Sect., 6 décembre 2019, Ministre de l’action et des comptes publics, req. n° 425542