Élément matériel de la prise illégale d’intérêts : réunions informelles
Le délit de prise illégale d’intérêt est défini comme suit par l’article 432-12 du Code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. ».
Au cours des dernières années, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a développé une jurisprudence sévère quant à la caractérisation des éléments constitutifs de ce délit. Il en est ainsi par exemple concernant la notion « d’intérêt quelconque », au cœur de l’article 432-12 du code pénal, dont l’appréciation est étendue de manière extensive par la jurisprudence : l’intérêt peut être non seulement matériel, mais également purement moral (liens amicaux et professionnels (Crim., 13 janvier 2016, n°14-88.382), ancien partenaire de golf (Crim., 5 avril 2018, n°17-1.912) …).
En l’espèce, la Chambre criminelle de la cour de cassation a dû se pencher sur l’élément matériel de l’infraction, à savoir de « prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement » un intérêt « dans une entreprise ou dans une opération dont [on] a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ».
En l’occurrence, une commune avait lancé un appel à projet relatif à la création d’un parc de loisirs sur des terrains lui appartenant, sous l’impulsion de son maire. Un seul dossier avait été déposé, et donc retenu, dossier présenté par le fils et le gendre du maire de la commune. Par conséquent, le terrain devait être cédé aux porteurs du projet, ayant notamment créé une SCI dont le maire et son épouse détenaient 38% des parts. Le notaire en charge de réaliser la vente refusait de la poursuivre dans ces conditions, et l’acte authentique de vente était finalement signé devant un autre notaire, après que le maire et son épouse avaient cédé leurs parts de la SCI (tout en restant cautions solidaires des emprunts contractés par la société postérieurement à cette cession).
Après divers rebondissements procéduraux (cette affaire ayant déjà été portée devant la cour de cassation), la cour d’appel de renvoi déclarait le maire coupable de prise illégale d’intérêts. Le maire formait un pourvoi contre cette décision, en estimant notamment qu’il n’a fait qu’exécuter la décision du conseil municipal autorisant la vente, cette décision ayant été prise alors qu’il n’avait pas participé à ladite séance (dont il avait préparé la convocation et formalisé le procès-verbal de délibération).
Dans un arrêt du 20 janvier 2021, la Cour de cassation rejette le pourvoi en retenant que « déduisant de la participation de M. G…, maire de la commune, à la réunion informelle du 13 septembre 2012 la part prise à la surveillance, au sens de l’article 432-12 du code pénal, de l’opération litigieuse de cession de parcelles, propriété de la commune, caractérisant ainsi le délit de prise illégale d’intérêt à son encontre, la cour d’appel a justifié sa décision. »
Ainsi, outre l’intérêt personnel caractérisé en l’espèce – cession de terrain au profit de membres de sa famille et de société dans lequel il avait un intérêt –, l’élément matériel est constitué puisqu’en sa qualité de maire, ses fonctions impliquaient la charge de la surveillance et de l’administration des terrains communaux. Or, le maire était « intervenu personnellement, en qualité de mandataire public, pour accomplir une démarche relative à la gestion communale de cette opération en participant à la réunion du 13 septembre 2012, tenue en Mairie avec plusieurs autres élus, en présence du notaire chargé de la cession des terrains, pour que soit discuté le caractère anormal du cumul de sa fonction de maire avec sa prise d’intérêt dans la cession de terrains de la commune. ».
Ainsi, la seule participation à une réunion informelle serait susceptible de caractériser le délit de prise illégale d’intérêts. Il convient donc pour les agents concernés d’être particulièrement vigilants.