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Emprunts structurés : la faculté pour un établissement public de santé d’invoquer la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soumise à un examen in concreto

02 mai 2021

La saga judiciaire des emprunts structurés conclus par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux a été l’occasion pour la Cour de cassation d’affiner sa jurisprudence relative aux personnes morales de droit public habilitées à se prévaloir des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (CESDH)

Les décisions récentes en la matière ont pour point de départ un jugement du 8 février 2013 rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre (no 11/03780) annulant le taux conventionnel retenu dans un emprunt dit « toxique » pour défaut de mention du taux effectif global (TEG).

Cette décision faisant peser un risque important sur les finances publiques en raison de la reprise par l’État de l’un des établissements prêteurs, le législateur avait adopté une loi validant rétroactivement la stipulation d’intérêts de ces emprunts et faisant expressément échec à tout moyen tiré du défaut de mention ou de la mention erronée du TEG (loi no 2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public). Concomitamment, un fonds de solidarité avait été ouvert au profit des collectivités choisissant de conclure un accord transactionnel avec l’établissement de crédit.

Certaines collectivités ayant préféré la voie contentieuse ont tenté d’invoquer devant les juges du fond la violation par cette loi de validation des articles 6-1 (droit à un procès équitable) de la CESDH et 1er de son Protocole no 1 (droit à la propriété).

L’article 34 de la Convention prévoit toutefois que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) peut être saisie d’une requête « par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles ». La CEDH avait dès lors jugé que les collectivités locales (et plus largement toute autorité nationale qui exerce des fonctions publiques), devant être considérées comme « organisations gouvernementales », ne pouvaient introduire de requête devant elle sur le fondement de l’article 34 précité (CEDH, 1er février 2001, no 55346/00, Ayuntamiento de Mula c. Espagne).

Il restait donc à déterminer si, nonobstant cet article, les collectivités territoriales étaient recevables à invoquer le texte de la CESDH devant les juges nationaux. Par deux arrêts rendus en 2018, la Cour de cassation avait fermé cette voie : « une commune, qui n’est pas assimilée à une organisation non gouvernementale au sens de l’article 34 de la CESDH dans la mesure où, s’agissant d’une personne morale de droit public, elle exerce une partie de la puissance publique, ne peut, ni saisir la CEDH, ni invoquer utilement devant les juridictions nationales les stipulations de la CEDH ou de son premier Protocole additionnel et, quelle que soit la nature du litige (Com., 24 mai 2018, no 16-26.478 ; Com., 28 mars 2018, no 16-26.210, Bull. no 35).

Les juges du fond semblent toutefois avoir accordé une portée trop large à cette solution. La Cour de cassation a ainsi eu très récemment l’occasion d’y apporter quelques précisions utiles.

Dans une affaire concernant un établissement public de santé, personne morale de droit public dotée d’une autonomie administrative et financière (Code de la santé publique, art. L. 6141-1), la Haute juridiction considère au visa de l’article 34 de la CEDH que « entrent dans la catégorie, au sens de ce texte, des organisations gouvernementales ne pouvant saisir la CEDH les personnes morales qui participent à l’exercice de la puissance publique ou qui gèrent un service public sous le strict contrôle des autorités. Pour déterminer si tel est le cas d’une personne morale donnée, autre qu’une collectivité territoriale, il y a lieu de prendre en considération son statut juridique et, le cas échéant, les prérogatives qu’il lui donne, la nature de l’activité qu’elle exercice et le contexte dans lequel s’inscrit celle-ci, et son degré d’indépendance par rapport aux autorités politiques (CEDH, décision du 23 sept. 2003, Radio France et autres c. France, no 53984/00 ; CEDH, décision du 13 mars 2008, Compagnie de navigation de la République islamique d’Iran c. Turquie, no 40998/98) ».

Elle censure donc l’arrêt déféré en reprochant au fond d’avoir statué « sans rechercher si le CHU, qui participait au service public hospitalier, était placé sous le strict contrôle des autorités au regard de son statut juridique et des prérogatives que celui-ci donnait, de la nature de l’activité qu’il exerçait et du contexte dans lequel s’inscrivait celle-ci, et de son degré d’indépendance par rapport aux autorités politiques, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Au-delà de cette clarification, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, statuant sur renvoi, doit donc être surveillé avec intérêt : le contrôle de conventionnalité de la loi de validation du 29 juillet 2014 aura peut-être finalement lieu.

Cass. Com., 3 février 2021, pourvoi no 19-13.015

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