Irrecevabilité d’un recours d’un particulier contre la gestion de la crise sanitaire devant la CEDH
Par un arrêt du 3 décembre dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme a conclu à l’irrecevabilité de la requête d’un particulier contestant la gestion de la crise sanitaire par l’État français.
Plusieurs requérants avaient saisi le Conseil d’Etat d’un référé-liberté visant à enjoindre à l’État français de prendre toutes les mesures pour fournir des masques FFP2 et FFP3 aux professionnels de santé, des masques chirurgicaux aux malades et pour autoriser les médecins et les hôpitaux à prescrire et aux patients de l’hydroxychloroquine. M. Le Mailloux, ressortissant français selon lui très fragilisé par une pathologie grave, était intervenu au soutien de ces requête et invoquait la carence de l’État dans la gestion de la crise au mépris des articles 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 10 (droit à la liberté d’expression) de la Convention, essentiellement quant au droit à la santé et à la liberté de prescription.
Par une ordonnance du 28 mars 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat a admis la recevabilité de l’intervention du requérant mais a rejeté la requête, refusant toute injonction au Gouvernement dans le cadre de la lutte contre la covid-19.
- Le Mailloux a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme de l’affaire en invoquant la méconnaissance de l’article 2 (droit à la vie) ainsi que des articles 3, 8 et 10 précités, dénonçant une atteinte au droit à la vie de la population française du fait des limitations d’accès aux tests de diagnostic, aux mesures prophylactiques et à certains traitements et une atteinte à la vie privée des personnes qui décèdent seules du virus.
La Cour rappelle tout d’abord que « si le droit à la santé ne fait pas partie en tant que tel des droits garantis par la Convention, les États ont l’obligation positive de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction et de protéger leur intégrité physique, y compris dans le domaine de la santé publique (Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 165, 19 décembre 2017, Vasileva c. Bulgarie, no 23796/10, §§ 63-69, 17 mars 2016). »
Toutefois, les juges considèrent que la Cour n’a pas à trancher la question de savoir si l’État a manqué à ces obligations positives, dans la mesure où la requête est irrecevable.
Elle rappelle en effet que pour se prévaloir d’un manquement, un requérant doit pouvoir démontrer qu’il a subi directement les effets de la mesure litigieuse, contrairement à M. Le Mailloux qui se plaignait in abstracto de l’insuffisance et de l’inadéquation des mesures prises par l’Etat français pour lutter contre la propagation du virus. Pour les juges, la qualité de « tiers intervenant » soulevé devant le Conseil d’Etat ne suffit pas pour attribuer le statut de « victime » directe et le requérant ne fournit pas d’indices raisonnables et convaincants que la carence de l’action du gouvernement affecte à son égard sa santé et sa vie privée.
La Cour conclut que la requête, relevant de l’actio popularis – le requérant ne saurait être considéré comme une victime, est irrecevable.
CEDH, 3 décembre 2020, Le Mailloux c/ France, req. n° 1810820