La simple addition des prix unitaires est susceptible de neutraliser le critère prix.
En présence d’écart important entre les différents prix unitaires proposés par un soumissionnaire, et des prestations très diverses, leur simple addition par l’acheteur, sans prise en compte des quantités prévisionnelles est susceptible de neutraliser la portée du critère prix. C’est ce qui ressort en substance d’un arrêt non publié du Conseil d’Etat en date du 13 novembre 2020.
En l’espèce, un groupement de commande, composé de la Commune de Perpignan et de la Communauté urbaine de Perpignan Métropole Méditerranée a engagé une procédure de publicité et de mise en concurrence pour un accord-cadre à bons de commande en vue de prestations de services juridiques réparties en six lots. Deux des lots sont attribués à la société Sanguinède di Frenna, au détriment de la société Charrel et Associés. Saisi par cette dernière, le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Montpellier a annulé la procédure de passation de ces deux lots litigieux.
D’une part, le Conseil d’Etat rappelle utilement que le juge des référés ne peut rendre son ordonnance sans procéder au préalable, après l’audience publique et après avoir informé les parties, à une clôture de l’instruction, dans l’hypothèse où une note en délibéré a été produite par la société requérante et communiquée par le greffe à la défenderesse invitée, elle, à produire si elle le désire ses observations « dans les meilleurs délais ».
D’autre part, le Conseil d’Etat rappelle que le juge du référé précontractuel est tenu d’apprécier la présence de manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles d’avoir lésé ou ont risqué de léser, fût-ce de façon indirecte, l’entreprise qui le saisit (CE 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, req. n°305420, au Recueil). Or, en l’espèce, le juge des référés s’était borné à relever un très faible écart entre les notes de la société requérante et celle de la société attributaire sur les autres critères que celui du prix sans rechercher si ce manquement était, dans les circonstances particulières de l’espèce, susceptible d’avoir lésé la société requérante.
Sur le fond ensuite, la société évincée remettait en cause la méthode d’évaluation des offres du pouvoir adjudicateur qui, pour la mise en œuvre du critère prix, avait décidé d’additionner les neuf prix unitaires proposés par les candidats pour les prestations faisant l’objet de l’accord-cadre, sans leur appliquer aucune pondération ni tenir compte des quantités prévisionnelles de chacune des prestations demandées. Ainsi, l’offre proposant la somme des prix unitaires la plus basse se voyait attribuer la meilleure note, les autres offres étant notées en fonction de leur écart à l’offre la mieux-disante.
Sur ce point, le Conseil d’Etat rappelle d’abord que le pouvoir adjudicateur peut définir librement la méthode de notation des offres pour la mise en œuvre des critères de sélection définis et rendu publics, sous réserve cependant de ne pas méconnaître les principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, comme par exemple en utilisant une méthode qui serait « par elle-même de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération (…) susceptible de conduire (….) à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ou (…) à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie » (v. ég. par ex. CE 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362, au Recueil ; CE 1er juillet 2015, SNEGSO, req. n° 381095, aux Tables sanctionnant une méthode consistant pour l’acheteur, en présence d’un marché global divisé en dix lots techniques, à procéder à une notation lot par lot avant de faire la moyenne arithmétique des différentes notes obtenues pour calculer la note globale, ce qui ne permettait pas de tenir compte de la grande disparité des valeurs des différents lots ni, par suite, d’identifier l’offre dont le prix était effectivement le plus avantageux ; CE 24 avril 2017, Ministre de la défense, req. n° 405787, aux Tables sanctionnant une méthode consistant pour l’acheteur à attribuer automatiquement, sur le critère prix, la note maximale de 20 à l’offre la moins disante et 0 à l’offre la plus onéreuse et qui conduisait, compte tenu de la pondération élevé du critère prix, à neutraliser les deux autres critères en éliminant automatiquement l’offre la plus onéreuse, quel que soit l’écart entre son prix et celui des autres offres, et alors même qu’elle aurait obtenu les meilleures notes sur les autres critères).
En l’espèce, pour le Conseil d’Etat, la méthode consistant à additionner les prix unitaires était de nature à priver le critère prix de sa portée « eu égard à la diversité des prestations faisant l’objet de l’accord-cadre et à l’écart très important des prix unitaires proposés par les candidats », de sorte que « cette méthode de notation qui renforçait l’importance relative des prix unitaires les plus élevés dans la notation du critère du prix alors même que le nombre prévisible de prestations correspondantes était faible, ».
Et de fait, la société requérante proposait des prix unitaires plus faibles que l’attributaire pour les consultations juridiques simples et complexes. Or, « une pondération supérieure des prix de ces dernières prestations par le pouvoir adjudicateur, par rapport aux prestations de représentation en justice et d’assistance aux modes de règlement alternatif des litiges, aurait pu permettre à la société requérante d’obtenir la meilleure note sur le critère du prix. ».
La méthode consistant donc pour un acheteur à additionner les prix unitaires proposés par un soumissionnaire est susceptible de neutraliser le critère prix dès lors que les prestations sont diverses de par leur nature et leur prix et de sorte qu’une autre pondération aurait « pu permettre » à un concurrent d’obtenir la meilleure note sur le critère. Cependant, et sur ce dernier point, en l’absence de quantités prévisionnelles sur chacune des prestations du bordereau de prix unitaire, la critique contre une telle méthode de notation pourrait être plus délicate.
Compte tenu du faible écart dans la notation des autres critères entre les soumissionnaires, le Conseil d’Etat reconnaît la société évincée fondée à solliciter l’annulation de la procédure de passation des lots litigieux au stade de l’examen des offres.