Le contentieux des ordonnances non ratifiées
Par une décision d’Assemblée, publiée au Recueil Lebon, en date du 16 décembre 2020, le Conseil d’Etat précise les modalités selon lesquelles une ordonnance non ratifiée par le Parlement peut faire l’objet d’une contestation.
En l’espèce, plusieurs syndicats ont sollicité auprès du Conseil d’Etat l’annulation de l’ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l’État et la fonction publique territoriale au titre de la période d’urgence sanitaire. Pour mémoire, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a, par son article 11, autorisé le Gouvernement à prendre pendant une durée de trois mois des ordonnances dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution en vue de faire face aux conséquences de l’épidémie.
En principe, si elles permettent au Gouvernement d’intervenir dans le domaine de la loi, les ordonnances de l’article 38 de la Constitution conservent leur caractère d’acte administratif tant qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une ratification expresse de la part du Parlement. Ce faisant, la jurisprudence considérait traditionnellement que leur régularité ne pouvait être contestée que devant le juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir (CE, Ass., 11 décembre 2006, , Cons. Nat. de l’Ordre des Médecin, req. n° 279517, Publié au Lebon), échappant ainsi au contrôle du Conseil constitutionnel.
Toutefois, par deux décisions récentes du 28 mai 2020 et du 3 juillet 2020, le Conseil Constitutionnel a modifié sa jurisprudence en admettant que les dispositions d’une ordonnance non ratifiée doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Partant, leur conformité par rapport aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité (CC, 28 mai 2020, Association Force 5, n° 2020-843 QPC ; CC, 3 juillet 2020, M. Sofiane A et autres, n° 2020-851/852 QPC).
Dans le prolongement, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions et les modalités de contrôle par le juge administratif de la légalité des ordonnances non ratifiées de l’article 38, que ce soit par voie d’action ou d’exception.
D’abord, le Conseil d’Etat considère que bien que l’article 38 autorise le Gouvernement à adopter des mesures dans le domaine relevant par principe de la loi, « les ordonnances prises en vertu de l’article 38 de la Constitution conservent le caractère d’actes administratifs, aussi longtemps qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une ratification, qui ne peut être qu’expresse, par le Parlement ». Partant, « leur légalité peut être contestée par voie d’action, au moyen d’un recours pour excès de pouvoir formé dans le délai de recours contentieux devant le Conseil d’Etat, compétent pour en connaître en premier et dernier ressort, qui peut en prononcer l’annulation rétroactive, ou par la voie de l’exception, à l’occasion de la contestation d’un acte ultérieur pris sur leur fondement, devant toute juridiction, qui peut en écarter l’application, sous réserve, le cas échéant, d’une question préjudicielle ».
Ensuite, le Conseil d’État précise que les dispositions qui relèvent du domaine de la loi, après l’expiration du délai de l’habilitation conférée au Gouvernement, ne peuvent « être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d’une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement. L’expiration du délai fixé par la loi d’habilitation fait ainsi obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire fasse droit à une demande d’abrogation portant sur les dispositions d’une ordonnance relevant du domaine de la loi, quand bien même celles-ci seraient illégales. Par sa décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions d’une ordonnance qui relèvent du domaine législatif entrent, dès l’expiration du délai d’habilitation, dans les prévisions de l’article 61-1 de la Constitution et que leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut ainsi être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité ». Néanmoins, il ajoute que « la circonstance qu’une question prioritaire de constitutionnalité puisse, dans une telle hypothèse, être soulevée, ne saurait cependant faire obstacle à ce que le juge annule l’ordonnance dont il est saisi par voie d’action ou écarte son application au litige dont il est saisi, si elle est illégale pour d’autres motifs, y compris du fait de sa contrariété avec d’autres règles de valeur constitutionnelle que les droits et libertés que la Constitution garantit ».
En somme, le Conseil d’Etat considère que « le requérant a le choix des moyens qu’il entend soulever, en particulier lorsque des principes voisins peuvent trouver leur source dans la Constitution, dans des engagements internationaux ou dans des principes généraux du droit ». Il en résulte que lorsqu’il est saisi, par voie d’action d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une ordonnance non ratifiée, le Conseil d’Etat peut « alors même que le délai d’habilitation est expiré et qu’une question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée, annuler cette ordonnance, avant l’expiration du délai de trois mois à compter de la présentation de la question, sans se prononcer sur son renvoi au Conseil constitutionnel, si un motif autre que la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution ou les engagements internationaux de la France est de nature à fonder cette annulation et que l’intérêt d’une bonne administration de la justice commande qu’il ne soit pas sursis à statuer ».
Toutefois, si avant qu’il ne statue, le Conseil Constitutionnel déclare inconstitutionnelle une disposition, il appartient au Conseil d’Etat de « de tirer les conséquences, sur les conclusions de la requête, de la décision du Conseil constitutionnel, puis d’accueillir ou de rejeter le surplus des conclusions, en fonction du bien-fondé des moyens autres que ceux tirés de la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution ».
Enfin, dans l’hypothèse où le Parlement ratifierait l’ordonnance lui conférant ainsi rétroactivement valeur législative, le recours en excès de pouvoir deviendrait sans objet, et l’ordonnance « ne [pourrait] plus être utilement contestée par voie d’exception qu’au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, par le moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité, et des engagements internationaux de la France produisant des effets directs dans l’ordre juridique interne ».
CE, Ass., 16 décembre 2020, Fédération CFDT des finances et autres, req. n° 440258, publié au Lebon