Le devoir de conseil du maître d’œuvre s’étend aux normes entrées en vigueur en cours d’exécution des travaux
Dans une décision du 10 décembre 2020, mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat a étendu le devoir de conseil du maître d’œuvre, en incluant dans le champ de cette obligation celle d’avertir le maître d’ouvrage avant l’achèvement des travaux, de l’entrée en vigueur de nouvelles normes qui pourraient venir affecter la conformité de l’ouvrage.
En l’espèce, la commune de Biache-Saint-Vaast avait confié à M. A… la maîtrise d’œuvre pour la conception d’une « salle polyvalente à vocation principalement festive ». À son achèvement, cet ouvrage a été réceptionné sans réserve. La Commune a cependant sollicité auprès du Tribunal administratif de Lille la condamnation de M. A… sur le fondement de la méconnaissance de son devoir de conseil, au motif que celui-ci ne l’aurait pas avertie de la non-conformité du bâtiment à une norme acoustique entrée en vigueur deux mois après le lancement des travaux.
Après avoir classiquement rappelé que « la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves », la Haute juridiction a estimé que ce devoir impliquait que « le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage », si bien que c’est sans erreur de droit que la Cour administrative d’appel de Douai avait pu juger que la responsabilité de M. A… était engagée du fait de s’être abstenu « de signaler au maître de l’ouvrage le contenu de nouvelles normes acoustiques et leur nécessaire impact sur le projet, et de l’alerter de la non-conformité de la salle polyvalente à ces normes lors des opérations de réception alors qu’il en avait eu connaissance en cours de chantier ».
Le pourvoi de M. A… est en conséquence rejeté et sa responsabilité ainsi engagée à hauteur de 80% du montant du préjudice, celui-ci ayant en effet été très partiellement exonéré en raison de la faute commise par la Commune dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle, compte tenu de la large diffusion dont la norme litigieuse avait fait l’objet, sans pour autant que puisse lui soit reproché une faute dans « l’estimation de ses besoins ou dans la conception même du marché ».
Au-delà de la l’appréciation de la sévérité de cette solution, celle-ci n’est pas sans poser de question sur le traitement des travaux qui seraient alors rendus nécessaires pour mettre l’ouvrage en conformité avant son achèvement et des responsabilités en jeu.
CE 10 décembre 2020, Commune de Biache-Saint-Vaast, req. n° 432783, mentionné aux Tables