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Le droit à la vie familiale est susceptible de s’opposer à l’application des règles d’urbanisme

31 janvier 2016

Par un arrêt du 17 décembre 2015, la Cour de cassation fait application de la jurisprudence Winterstein c/ France de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et admet que le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH), puisse faire obstacle aux règles d’urbanisme.

Cette décision constitue un nouvel épisode dans l’affaire qui oppose, depuis de nombreuses années, la commune d’HERBLAY à la communauté des gens du voyage. En effet, de nombreux membres de cette communauté, installés depuis parfois près de trente ans sur le territoire de la commune, ont acquis des parcelles sur lesquelles ils ont implanté, sans déclaration préalable, des caravanes destinées à l’habitation, un algéco et des cabanons de jardin en tôle. Or, ces parcelles étant situées dans un espace boisé, classé en zone naturelle, les dispositions du Plan Local d’Urbanisme (PLU) interdisaient notamment l’implantation de constructions et le stationnement de caravanes à usage d’habitation.

Constatant la violation des dispositions de son PLU, la commune a assigné en référé, sur le fondement des articles 808 et 809 du Code de procédure civile, les propriétaires des parcelles afin d’obtenir leur condamnation à évacuer les caravanes et démolir les bâtiments construits sans autorisation. Jugeant que les violations manifestes des règles locales d’urbanisme caractérisaient un trouble manifestement illicite, sans que le droit au respect de la vie familiale et le droit au logement ne puissent faire « obstacle au nécessaire respect des règles d’urbanisme ni faire disparaître le trouble résultant de leur violation », le Tribunal de grande instance de PONTOISE et la Cour d’appel de VERSAILLES ont condamné les propriétaires à la remise en état initial des parcelles.

Saisie d’un pourvoi formé par les propriétaires, la Cour de cassation censure toutefois le raisonnement de la Cour d’appel et applique la jurisprudence de la CEDH selon laquelle la violation des règles d’urbanisme ne saurait entraîner systématiquement la condamnation de l’auteur de l’infraction. En effet, la CEDH jugeant régulièrement que la vie en caravane fait partie intégrante de l’identité des gens du voyage et que ce type de véhicule constitue un domicile au sens de l’article 8 de la Convention, toute atteinte à leur domicile peut être assimilée à une atteinte à leur vie privée et familiale (CEDH, 18 janvier 2001, Chapman c/ Royaume-Uni, req. n°27238/95). Ainsi, la règlementation nationale d’urbanisme, bien que prévue par la loi et poursuivant un but légitime, constitue une ingérence dans la vie privée et familiale et doit être proportionnée au but poursuivi. Il appartient alors aux juridictions nationales d’exercer ce contrôle de proportionnalité (CEDH, 17 octobre 2013, Winterstein c/ France, req. n°27013/07).

Or, en l’espèce, la Cour d’appel n’ayant pas recherché si les mesures ordonnées (évacuation des caravanes, démolition des bâtiments et remise en état initial des parcelles) étaient ou non proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et de la situation des requérants (ancienneté de l’occupation, tolérance de la commune, absence de possibilité de relogement…), elle a méconnu l’article 8 de la CESDH, justifiant ainsi la censure de l’arrêt et le renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de VERSAILLES.

Si cette décision ne bouleverse pas le droit de l’urbanisme, ses implications potentielles suscitent toutefois des interrogations, d’une part, quant à la stratégie à adopter par les communes s’agissant des mesures à prendre pour éviter ce type de situation, et d’autre part, quant à l’application de cette jurisprudence à d’autres communautés que les gens du voyage.

Référence : Cass. 3e civ., 17 décembre 2015, M. et Mme Ortica c/ Commune d’Herblay, pourvoi n° 14-22.095, publié au Bulletin

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