Le montant d’un marché de titre de paiement s’apprécie au regard de la somme que le pouvoir adjudicateur doit payer à son cocontractant
Par une décision 4 mars 2021 qui sera mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat vient apporter d’utiles précisions sur les modalités de calcul du montant d’un accord-cadre en tranchant la question, non encore traitée en jurisprudence, du calcul du montant d’un marché de titres de paiement.
En l’espèce, le département de la Loire a lancé une procédure sans publicité ni mise en concurrence en vue d’attribuer 4 lots d’un accord-cadre, ayant pour objet l’émission et la distribution de chèques emploi-service universels préfinancés (CESU), de titres-restaurant et de chèques cadeaux. La société Edenred, invitée à présenter une offre pour ces 4 lots, a informé le département qu’elle ne souhaitait pas présenter d’offre mais a ensuite contesté avec succès cette procédure par la voie d’un référé-précontractuel qui a abouti à l’annulation de la procédure de passation par le juge des référés du TA de Lyon.
Saisi du pourvoi formé par le département, le Conseil d’Etat s’est d’abord posé la question, dans le cadre de la communication d’un moyen d’ordre public susceptible d’être soulevé, de savoir si le contrat en litige ne devait pas être qualifié de concession au vu de l’organisation particulière du marché. Pour rappel, le titulaire, émetteur des titres se rémunère par le biais de deux canaux : d’une part, le prix versé par l’acheteur, la personne publique et, d’autre part, les activités commerciales perçues auprès des commerçants qui acceptent les titres, sous la forme de commission. Or, si la rémunération fixée par l’acheteur est fixe, les commissions prélevées elles, ne le sont pas. Comme le rappelle à cet égard le rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil, « la rémunération du cocontractant est essentiellement liée à des activités commerciales annexes ». Pour autant, selon le Conseil d’Etat, dès lors que « le coût de l’émission des titres et de leur distribution est intégralement payé par le département et le cocontractant bénéficie, à titre de dépôt, des fonds nécessaires pour verser leur contre-valeur aux personnes physiques ou morales auprès desquelles les titres seront utilisés », le risque économique lié à la prestation pour laquelle le titulaire est sélectionné – émission et distribution des titres – , ne fait peser sur ce dernier aucun risque économique, et ce nonobstant le fait que le titulaire peut prélever une commission à l’occasion du remboursement des titres aux personnes physiques ou morales les ayant accepté en paiement.
Sur le fond du litige ensuite, le Conseil d’Etat tranche la question du calcul de la valeur estimée du besoin dans le contexte économique particulier du marché en l’espèce.
La société Edenred reprochait au département d’avoir méconnu l’article R. 2122-8 du code de la commande publique en ayant calculé la valeur estimée du besoin du marché à partir non pas du volume financier induit par le contrat (valeurs faciales des titres restaurant acquis augmentées de frais de gestion de l’émetteur titulaire), mais au regard de la seule rémunération du futur prestataire. Selon la société Edenred, le Département aurait ce faisant méconnu le principe selon lequel l’appréciation du montant du contrat doit se faire, non pas seulement au regard de la rémunération brute que percevrait l’opérateur, mais de l’ensemble des éléments qui feront partie du prix à débourser par l’acheteur (v. par ex. à ce sujet Fiche de la DAJ : « Marchés de titres-restaurant » : « Dans le cadre d’un marché de titres-restaurant, le montant payé par le pouvoir adjudicateur correspond à une somme égale au nombre de titres émis multiplié par leur valeur faciale, augmentée des frais de gestion et moyens de rémunération appliqués par l’émetteur ou diminuée de rabais ou autres ristournes consenties grâce aux commissions perçues par l’émetteur sur les enseignes »). Le Conseil d’Etat, sur les recommandations du rapporteur public, suit cette position en considérant que « l’acheteur doit prendre en compte, outre les frais de gestion versés par le pouvoir adjudicateur, la valeur faciale des titres susceptibles d’être émis pour son exécution, somme que le pouvoir adjudicateur doit payer à son cocontractant en contrepartie des titres mis à sa disposition. ».
Le Conseil d’Etat reconnaît par ailleurs que la société Edenred justifiait bien d’un intérêt lésé dans l’attribution du marché par le fait qu’elle « a été dissuadée de présenter une offre par l’irrégularité dont elle considérait que le procédure était entachée », à savoir la « [dispense] de formalités de publicité et de mise en concurrence ».
Le pourvoir du Département est donc rejeté.
CE 4 mars 2021, Département de la Loire c/ Société Endenred, req. n°438859, aux Tables