Une offre régularisable ne confère en elle-même au candidat évincé aucune chance de remporter le marché
Par une décision du 18 décembre 2020 à mentionner aux Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’un candidat évincé qui n’avait pas été invité à régulariser son offre par le pouvoir adjudicateur alors que ce dernier disposait d’une telle faculté conformément à l’article R. 2152-1 du Code de la commande publique ne pouvait être regardé, pour ce seul fait, comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le marché. La faculté dont dispose le pouvoir adjudicateur d’inviter les candidats à régulariser leur offre ne ferait ainsi naître, par principe, aucune chance de remporter le marché.
Le litige portait sur l’attribution par le Centre hospitalier de Chambéry d’un marché portant sur la construction d’un nouveau bâtiment hospitalier. L’attribution de ce marché a été contestée par un recours en contestation de validité par une société évincée, membre du groupement arrivé en deuxième position. L’irrégularité de l’offre de l’attributaire est reconnue en première instance mais les conclusions d’annulation sont rejetées par le Tribunal administratif au motif que l’ouvrage était presque totalement achevé. La société attributaire se pourvoit contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel qui rejette son appel et confirme le rejet de ses conclusions indemnitaires tendant à obtenir le remboursement des frais exposés, au motif qu’elle n’était pas dépourvue de toute chance d’obtenir le marché dès lors que l’offre de la société attributaire était elle-même irrégulière.
Pour rappel, pour pouvoir obtenir le remboursement des frais exposés pour la présentation de l’offre, le candidat évincé doit prouver qu’il n’était pas dépourvu de « toute chance » d’emporter le marché et que le préjudice subi dont il sollicite la réparation est en lien avec l’irrégularité de la procédure de passation. Comme le rappelle le Conseil d’Etat, le candidat évincé peut même obtenir, s’il parvient en plus à prouver qu’il disposait de « chances sérieuses » d’obtenir le marché, une indemnisation couvrant le manque à gagner (v. par ex. CE 18 juin 2003, Groupement solidaire ETPO e.a., req. n°249630, aux Tables).
Dans ce cadre, les juges du fond ont considéré en l’espèce que les conclusions indemnitaires étaient infondées au motif que l’offre de la société évincée était irrégulière – le projet de construction de l’offre méconnaissait les exigences du programme fonctionnel – de sorte que cette dernière était bien dépourvue de toute chance d’obtenir le marché et ce même si l’offre de l’attributaire était, elle aussi, irrégulière (voir par ex en ce sens CE 8 octobre 2014, SIVOM de Saint-François Longchamp Montgellafrey, req. n°370990, aux Tables et notre brève à ce sujet). Comme le résume Mireille LE CORRE dans ses conclusions sur l’arrêt commenté, « la cause de l’éviction d’une société présentant une offre irrégulière tient à son propre caractère irrégulier, sans lien avec l’irrégularité de l’offre retenue ». L’irrégularité de l’offre de la société évincée neutralise tout lien de causalité entre l’irrégularité de la procédure et le préjudice subi par cette société.
Pour autant, la question qui se posait en l’espèce était de savoir si la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’inviter les candidats à régulariser leur offre pouvait être prise en compte dans l’appréciation de cette chance pour le candidat évincé, d’obtenir le marché. La Cour administrative d’appel de Paris dans une autre affaire a pu récemment considérer que l’irrégularité de l’offre d’une société évincée était effectivement sans incidence sur son droit à obtenir le remboursement des frais avancés « dès lors que ces irrégularités étaient régularisables et sans incidence sur la recevabilité de l’offre elle-même. » (CAA Paris, 17 janvier 2020, Société Azoulay, req. n° 18PA01035). Le Conseil d’Etat considère quant à lui que « la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait été susceptible de faire usage, dans les conditions désormais prévues par l’article R. 2152-2 du code de la commande publique, de la faculté de l’autoriser à régulariser son offre n’est pas de nature, par elle-même, à ce qu’il soit regardé comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat. ».
La portée effective d’une telle décision, pourtant destinée à figurer aux Tables du recueil interroge cependant, au vu notamment des conclusions du rapporteur public et du caractère général de cette solution qui reste une solution de principe (cf. « par elle-même »). Ainsi la faculté pour l’acheteur d’inviter les candidats à régulariser leur offre irrégulière ne semble pas totalement insusceptible d’influer sur les chances des candidats de remporter le marché. Selon Mireille LE CORRE, une telle faculté pourrait ainsi être prise en compte dans l’hypothèse « de deux offres globalement égales, si l’offre écartée était entachée d’une irrégularité infime ». En l’espèce, l’irrégularité affectant l’offre de la requérante était substantielle, la question ne se posait donc pas selon le rapporteur public.
Le pourvoi et les conclusions indemnitaires sont donc rejetées.
CE 18 décembre 2020, Société Architecture Studio, req. n°429768, aux Tables