Inconventionnalité des dispositions relatives à l’interdiction de soumissionner à un contrat de concession
Par un arrêt du 12 octobre 2020, le Conseil d’Etat juge les dispositions relatives à l’interdiction de soumissionner à un contrat de concession de l’article L. 3123-1 du code de la commande publique (ancien art. 39 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession) en raison incompatibles avec l’article 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014.
La société Vert Marine sollicite du Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation des articles 19 et 23 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession et qu’il soit enjoint au Premier ministre d’abroger ces dispositions et de les remplacer par d’autres dispositions permettant d’assurer la conformité de ce décret au droit de l’Union européenne.
La société soutient que ces articles instituent un dispositif d’interdictions obligatoires de soumissionner, qui est incompatible avec les dispositions de l’article 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 portant sur l’attribution de contrats de concession – qui prévoit des motifs d’exclusion, obligatoires ou facultatifs, des opérateurs économiques des procédures d’attribution des contrats de concession.
Par décision du 14 juin 2019 (CE 14 juin 2019, Société Vert Marine, req. n° 419146 ; voir notre précédente brève), le Conseil d’Etat a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : est-ce que l’article 38 de la directive laisse aux États membres la possibilité de permettre (ou de ne pas permettre) aux opérateurs d’apporter des preuves attestant de leur fiabilité malgré l’existence d’un motif d’exclusion, ou est-ce que, à l’inverse, les États membres ont l’obligation de laisser cette faculté aux opérateurs ? Dans l’hypothèse où cette seconde alternative serait avérée, les divers mécanismes prévus par le droit français, tels que le relèvement, la réhabilitation judiciaire ou encore l’exclusion de la mention de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire, peuvent-ils être considérés comme équivalents à des dispositifs de mise en conformité ?
Par un arrêt C-472/19 du 11 juin 2020, la CJUE a successivement répondu à ces deux questions (CJUE 11 juin 2020, Vert Marine SAS c/ Premier ministre et Ministre de l’Économie et des Finances, aff. n° C-472/19).
D’une part, elle a considéré que l’article 38 paragraphe 9, de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession doit être interprétée en ce sens qu’est contraire au droit de l’Union européenne une législation nationale qui ne laisse pas la possibilité à un opérateur économique condamné de manière définitive pour l’une des infractions visées à l’article 38, paragraphe 4, de cette directive et faisant l’objet, pour cette raison, d’une interdiction de plein droit de participer aux procédures de passation de contrats de concession, de démontrer le rétablissement de sa fiabilité.
D’autre part, la Cour a jugé que la directive ne s’opposait pas, par principe, à ce que l’examen du caractère approprié des mesures correctrices prises par un opérateur économique soit confié aux autorités judiciaires, mais elle y a posé deux conditions : l’ensemble des exigences posées à l’article 38 paragraphe 9 doivent être respectées et la procédure applicable doit être compatible avec les délais imposés par la procédure de passation des contrats de concession. Les procédures judiciaires existantes doivent ainsi permettre de prononcer le relèvement, la réhabilitation ou l’exclusion de la mention de la condamnation d’un opérateur économique lorsqu’il souhaite participer à une procédure de passation de contrat de concession, au regard des mesures correctrices qu’il a mises en œuvre. La Cour laisse le soin au Conseil d’Etat de s’assurer de l’effectivité du mécanisme en droit français.
Dans sa décision du 12 octobre 2020, le Conseil d’Etat, à partir de l’interprétation donnée par la CJUE, constate qu’aucune disposition de l’ordonnance relative aux contrats de concession n’offre à un opérateur économique condamné par un jugement définitif pour une des infractions pénales énumérées à l’article 39 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 (nouvel article L. 3123-1 du code de la commande publique) d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité. Plus encore, les différents dispositifs existants par ailleurs en droit pénal français, tels le relèvement, la réhabilitation et l’exclusion de la mention de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire « ne peuvent être regardés, eu égard à leurs conditions d’octroi, notamment de délai, et à leurs effets, comme des dispositifs de mise en conformité au sens de la directive du 26 février 2014 telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne dans les conditions mentionnées au point 4 ».
Dans ces conditions, et dès lors que les dispositions de l’article 39 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 reprises à l’article L. 3123-1 du code de la commande publique ne prévoient pas de dispositif de mise en conformité permettant à un opérateur économique candidat à l’attribution d’un contrat de concession d’échapper aux interdictions de soumissionner prévues en cas de condamnation pour certaines infractions, elles sont incompatibles avec les objectifs de l’article 38 de la directive 2014/23 du 26 février 2014. La société Vert Marine est donc fondée à demander l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation des articles 19 et 23 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession.
Prenant acte des conséquences de l’annulation des dispositions, le Conseil d’Etat prévoit les mesures transitoires suivantes : « dans l’attente de l’édiction des dispositions législatives et réglementaires nécessaires au plein respect des exigences découlant du droit de l’Union européenne, l’exclusion de la procédure de passation des contrats de concession prévue à l’article L. 3123-1 du code de la commande publique n’est pas applicable à la personne qui, après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l’autorité concédante, qu’elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions mentionnées au même article pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement ».