Cession amiable après déclaration d’utilité publique : garantie des vices cachés et violation des obligations légales pesant sur le vendeur
Dans le cadre de la réalisation de travaux d’extension d’une ligne de tramway, déclarés d’utilité publique, une société a vendu à la communauté urbaine de Bordeaux diverses parcelles. A l’occasion des premiers travaux, le cessionnaire aurait découvert des quantités anormales, et révélatrices d’une pollution d’origine industrielle, de différents métaux et produits chimiques devant être traités en déchets dangereux, tandis que le vendeur aurait notamment déclaré dans l’acte de vente ne pas avoir exploité d’installation soumise à autorisation.
Après expertise, la communauté urbaine a assigné la société en indemnisation de son préjudice.
La cour d’appel de Bordeaux rejette ses demandes en paiement aux motifs que la cession amiable après déclaration d’utilité publique produit les mêmes effets, sur le plan juridique, que l’ordonnance d’expropriation. Elle relève ainsi qu’une telle cession entraîne l’extinction de tout droit réel ou personnel existant sur les immeubles concernés et que, même si le juge de l’expropriation n’intervient pas pour fixer le montant de l’indemnité, le prix d’acquisition correspond en réalité à l’indemnisation intégrale du préjudice résultant de la dépossession. Sans nier que le contrat conclu est de droit commun, elle en déduit que les règles relatives à la vente sont inapplicables.
Statuant sur le pourvoi formé par la collectivité, la troisième chambre civile de la Cour de cassation censure ce raisonnement au visa de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, qui dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
La Cour de cassation énonce qu’« en statuant ainsi, alors que la cession consentie après une déclaration d’utilité publique par la société X était un contrat de vente de droit privé, susceptible d’ouvrir droit à une action fondée sur la garantie des vices cachés ou sur la violation des obligations légales pesant sur le vendeur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La Cour de cassation réaffirme ainsi sa jurisprudence aussi ancienne que constante.
Elle avait en effet déjà eu l’occasion d’affirmer que si la cession amiable, consentie après déclaration d’utilité publique, produit des effets identiques à ceux de l’ordonnance d’expropriation et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur l’immeuble cédé, elle demeure néanmoins un contrat de droit privé et est, en conséquence, une vente rescindable pour cause de lésion de plus des 7/12, quand bien même l’immeuble aurait été incorporé au domaine public (Cass. civ. 3e, 26 octobre 1971, pourvoi no 70-10.962, Bull. civ. no 513).
De la même manière, elle avait considéré que la déclaration d’utilité publique n’ayant d’autre effet que d’autoriser l’administration à procéder à l’expropriation sans rendre celle-ci obligatoire, la cession amiable de l’immeuble consentie après l’arrêté déclaratif est assimilable à une vente et non à une expropriation (Cass. civ. 3e, 9 janvier 1974, pourvoi no 72-14.313, Bull. civ. no 7). Et elle avait approuvé l’arrêt d’appel se référant aux seules énonciations du contrat pour déterminer les droits et obligations du vendeur et des acquéreurs (Cass. civ. 3e, 21 octobre 1981, pourvoi no 80-12.019, Bull. civ. no 170).
En se prononçant au seul visa de l’article 1134 (ancien) du code civil, la Cour de cassation a entendu conférer une portée large à sa décision, dont l’intérêt ne se limite pas aux actions fondées sur la garantie des vices cachées, mais doit être étendue à la violation de toutes les obligations légales pesant sur le vendeur telles que la délivrance conforme ou celles visées à l’article L. 514-20 du Code de l’environnement.
Cass. civ. 3e, 23 septembre 2020, pourvoi no 19-18.031, Publié au bulletin