L’absence d’influence de la protection fonctionnelle sur la recevabilité de l’action civile exercée devant la juridiction répressive
En 2014, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a déclaré le maire d’une commune coupable du chef de harcèlement à l’égard de deux agents municipaux. Cette décision a été partiellement censurée par la Cour de cassation en mars 2016.
Entre-temps, les agents ont sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par un jugement du 24 août 2016, le tribunal administratif a ainsi condamné la commune à verser aux agents, au titre de la protection fonctionnelle, à chacun la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi en conséquence du harcèlement moral.
Par un arrêt du 29 décembre 2016, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, statuant sur renvoi, a jugé recevable l’action civile des agents municipaux nonobstant le jugement du tribunal administratif puis, par arrêt du 11 février 2019, a statué sur les intérêts civils.
La Cour de cassation a alors été saisie une seconde fois par le maire de la commune.
Estimant que l’action des victimes, qui avaient déjà porté leur demande devant le juge administratif, était irrecevable, le demandeur au pourvoi a tout d’abord cherché à s’abriter derrière l’article 5 du Code de procédure pénale. Pour mémoire, cet article dispose que « la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive. Il n’en est autrement que si celle-ci a été saisie par le ministère public avant qu’un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile ». Il faisait donc notamment valoir que la notion de « juridiction civile compétente » devait être entendue largement et comprenait les juridictions de l’ordre administratif.
Par un arrêt du 30 mars 2021, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté la fin de non-recevoir aux motifs que la procédure pénale n’opposait pas les mêmes parties et où les demandes présentées au visa des articles 1382, devenu 1240, du Code civil et 2 du Code de procédure civile n’avaient pas le même fondement.
Elle ajoute, en premier lieu, que l’exception d’irrecevabilité tirée de l’article 5 ne peut être utilement opposée lorsque le juge pénal a été saisi le premier de l’action civile et, en second lieu, que l’application du texte est réservée aux demandes portées devant le juge civil et devant le juge pénal, ce qui exclut les situations où le demandeur à l’action civile devant le juge pénal saisit également le juge administratif. Elle affirme ainsi clairement une lecture restrictive de l’article 5 du Code de procédure pénale et de la notion de « juridiction civile compétente ».
Le maire de la commune avait ensuite invoqué la méconnaissance du principe de la réparation intégrale en soulignant que les agents avaient déjà été indemnisés.
La Cour de cassation n’y est pas davantage sensible et écarte toute atteinte au principe de la réparation intégrale. Elle rappelle que « la condamnation par une juridiction administrative de la commune, en raison d’une faute personnelle de son maire, détachable du service mais non dénuée de tout lien avec celui-ci, a pour effet de subroger la collectivité dans les droits de la victime. Elle ne saurait donc avoir pour effet de limiter l’appréciation de la juridiction répressive dans la réparation du préjudice résultant de cette faute, constitutive d’une infraction pénale ».
Il convient ainsi de retenir que l’octroi à un agent public d’une somme au titre de la protection fonctionnelle ne fait pas obstacle à la recevabilité de son action civile devant le juge pénal.
Ce paiement subrogeant la collectivité dans les droits de la victime, il ne saurait avoir pour effet de limiter l’appréciation par la juridiction répressive de la réparation du préjudice résultant de la faute constitutive d’une infraction pénale.