L’utilisation de la visioconférence devant les juridictions pénales sans accord des parties dans un contexte d’urgence sanitaire est contraire à la Constitution
Par une décision n° 2020-872 du 15 janvier 2021, le Conseil constitutionnel, saisi sur QPC, s’est prononcé sur la constitutionnalité de l’alinéa premier de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale, prise dans le contexte de l’épidémie de covid-19, qui dispose que : « Par dérogation à l’article 706-71 du code de procédure pénale, il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties ».
Le requérant reprochait aux dispositions contestées de porter atteinte aux droits de la défense en ce qu’elles permettent à la chambre de l’instruction de statuer par visioconférence sur la prolongation d’une détention provisoire, sans faculté d’opposition de la personne détenue, ce qui pourrait avoir pour effet de la priver pendant plus d’une année de la possibilité de comparaître physiquement devant son juge.
Pour rappel, l’article 706-71 du code de procédure pénale encadre le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle au cours de la procédure pénale.
Le Conseil constitutionnel a jugé à deux reprises inconstitutionnelles certaines dispositions de cet article s’agissant des conditions dans lesquelles il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour les audiences de la chambre de l’instruction relatives au contentieux de la détention provisoire. Saisi par deux QPC sur deux rédactions différentes du même texte, le Conseil constitutionnel avait jugé que ces dispositions portaient une atteinte excessive aux droits de la défense en ce qu’elles pouvaient conduire à ce qu’en matière criminelle, une personne placée en détention provisoire soit privée pendant une année entière de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge de la détention (décision n° 2019-802 QPC du 20 septembre 2019 et décision n° 2020-836 QPC du 30 avril 2020).
En l’occurrence, c’est par dérogation à cet article que l’alinéa premier de l’article 5 de l’ordonnance précitée permettait, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré, de recourir à l’utilisation de la visioconférence au cours de la procédure pénale, exception faite des juridictions criminelles, sans l’accord des parties.
Le Conseil constitutionnel commence par rappeler que ces dispositions, en ce qu’elles permettent la continuité de l’activité des juridictions pénales, poursuivent l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice.
Cependant, les juges constatent le grand nombre de cas dans lesquels le justiciable peut se voir imposer le recours à la visioconférence et considèrent que « si le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle n’est qu’une faculté pour le juge, les dispositions contestées ne soumettent son exercice à aucune condition légale et, qu’il s’agisse des situations mentionnées au paragraphe précédent ou de toutes les autres, ne l’encadrent par aucun critère ».
En conséquence, le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions portent une atteinte aux droits de la défense que ne pouvait justifier le contexte sanitaire, et ce « eu égard à l’importance de la garantie qui peut s’attacher à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction pénale (…) et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de télécommunication ».
L’alinéa premier de l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 précitée est déclaré contraire à la constitution. Le juge précise que les mesures prises sur le fondement des dispositions inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité au risque de méconnaître les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, ce qui aurait des conséquences manifestement excessives.