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Les crèches de Noël dans les bâtiments publics : une autorisation sous conditions

01 décembre 2016

Le Conseil d’État, saisi de deux pourvois contre des arrêts rendus par les Cours administratives d’appel de Nantes et de Paris, s’est prononcé par une décision en date du 9 novembre 2016 rendue dans sa formation la plus solennelle sur la légalité de l’installation d’une crèche de Noel à l’initiative d’une personne publique sur un emplacement public.

L’intervention de la formation d’Assemblée appelée à trancher le conflit se justifiait tant par la polémique dans l’opinion publique que ne manquent jamais de susciter les questions touchant à la laïcité que par les réponses antinomiques que les juges y avaient en l’espèce apportées.

En effet, la Cour administrative d’appel de Paris a fait droit à l’appel de la Fédération de la libre pensée sur la décision du tribunal administratif rejetant sa demande tendant à ce que soit annulé le refus du maire de cesser d’installer chaque année une crèche dans l’enceinte de l’Hôtel de Ville. A l’inverse, la Cour Administrative d’appel de Nantes a annulé la décision du maire de la commune d’installer une crèche dans les locaux ouverts au public du conseil départemental et partant, la décision du tribunal administratif de Melun qui avait statué dans un sens contraire.

Le Conseil d’État adopte une grille de lecture subtile pour une solution toute en nuances.

Les juges rappellent dans un premier temps les fondements constitutionnels et légaux de la laïcité dont le principe est consacré à l’article 1er de la Constitution et dont la loi du 9 décembre 2005 a permis de préciser les implications. C’est plus précisément sur le terrain de l’article 28 de cette loi que le Conseil d’État fonde son raisonnement : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ». À dessein, le Conseil d’État reprend ensuite spécifiquement deux des exceptions posées par ces dispositions : d’une part, la limite tenant aux signes religieux déjà existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi, d’autre part la réserve tenant à l’apposition de signes religieux à titre d’exposition.

Les juges du fond avaient déjà eu l’occasion de retenir une interprétation libérale de l’article 28 de cette loi en jugeant que si, en dépit des usages locaux, la loi de décembre 1905 prohibe la présence d’un crucifix dans une mairie (CAA 4 février 1999 Association civique Joué Langueurs , 98NT00207), elle ne fait en revanche pas obstacle à ce qu’il soit exposé, au titre du patrimoine historique, dans une vitrine de la salle municipale comportant divers objets dénués de connotation religieuse (CAA de Nantes 12 avril 2001, M. Georges GUILLOREL, 00NT01993).

A encore été jugé que pouvait être apposé sur le fronton d’un bâtiment public un logotype dont les éléments une fois dissociés représentaient des motifs religieux en raison de l’absence de caractère revendicatif de l’installation laquelle n’a pas été réalisée dans un but de manifestation religieuse, ni n’a eu pour objet de promouvoir une religion, et avait pour unique fonction d’identifier les actions du département. (CAA de Nantes, 11 mars 1999, Association « Une Vendée pour tous les vendéens » n°98NT00357).

Le Conseil d’État reprend dans la décision commentée un raisonnement fondé sur l’objet et la finalité d’une telle installation en subordonnant la légalité de l’édification d’une crèche à l’initiative d’une personne publique dans un emplacement public à la circonstance qu’elle « présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse ». Les juges reconnaissent en effet que le symbole religieux que revêt à l’évidence une crèche n’épuise pas la diversité des significations qu’elle porte, la crèche ne pouvant être totalement décorrélée de l’histoire biblique dans laquelle elle s’inscrit incontestablement. Néanmoins, force est de reconnaître que la représentation des crèches dans la société contemporaine participe davantage du féerisme des fêtes traditionnelles de fin d’année, avec la connotation ludique et mercantile que ce rapprochement implique, qu’elle ne manifeste un prosélytisme religieux.

Par suite, les critères que la formation d’Assemblée dégage pour analyser la légalité de l’installation d’une crèche ne vise en réalité, par le biais d’éléments objectifs, qu’à sonder la portée, religieuse ou culturelle, conférée à l’installation : « Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. ».

On voir ressurgir implicitement les deux dérogations posées à l’article 28 de la loi sur lesquelles le Conseil d’État a pris soin d’insister. En effet, la connotation culturelle et artistique des crèches permettrait de rattacher leur installation temporaire à une « exposition » au sens de la loi de 1905 tandis que l’existence d’usages locaux peut s’analyser, s’agissant d’une installation temporaire, comme justifiant de l’antériorité de l’apposition d’un tel signe par rapport à l’entrée en vigueur de la loi.

Last but not least, parmi le faisceau d’indices avancée par le Conseil d’État, le lieu de l’installation joue un rôle clé. Le raisonnement est en effet mené à front renversé selon qu’il s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public, ou d’un autre emplacement public. Dans la première hypothèse, le Conseil d’État opte pour une interdiction assortie d’exceptions tandis que pour la seconde le principe est la liberté d’installation sous réserve d’une exception :

« 6. Dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences qui découlent du principe de neutralité des personnes publiques.

7. A l’inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie publique, l’installation à cette occasion et durant cette période d’une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse ».

Aucune des deux décisions portées devant le juge de cassation n’ayant évidemment recherché si l’installation en cause résultait d’un usage local ou s’il existait des circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, elles sont toutes deux annulées par le Conseil d’État. Toutefois, tandis que le Conseil d’État renvoie l’affaire de Vendée devant la Cour administrative d’appel de Nantes, il décide au contraire de statuer au fond concernant la ville de Melun en jugeant que l’installation d’une crèche dans l’enceinte de l’Hôtel de Ville, siège d’une collectivité publique, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, a méconnu l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.

Malgré les critères objectifs auxquels le Conseil d’État a souhaité arrimer son analyse casuistique, il est à parier que les interprétations divergentes et, par suite, les contentieux ne seront pas rares. Pour autant, cette jurisprudence s’inscrit dans la tradition de l’interprétation libérale conférée par le Conseil d’État à la loi du 9 décembre 1905.

Références

CE Ass. 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, req. n° 395122

CE Ass. 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée, req. n° 395223

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