Conformité de la réglementation italienne favorisant la passation de marchés publics à l’attribution directe à des entités in house
Par une décision en date du 6 février 2020, la Cour de justice de l’Union Européenne – saisie par la voie du renvoi préjudiciel par le Conseil d’Etat Italien – a considéré que le droit communautaire ne pouvait être interprété comme s’opposant à une législation nationale venant restreindre la possibilité – pourtant reconnue au pouvoir adjudicateur conformément à l’article 12§3 de la directive 2014/24/UE – de recourir au « in house ».
En l’espèce, la commune de Lanciano avait procédé à l’attribution directe d’un marché portant sur la gestion du service de propreté urbaine sur son territoire, à Ecolan, société in house, dont la commune de Lanciano était par ailleurs actionnaire. La société Riecco, concurrent évincé, a alors saisi le tribunal administratif en vue d’obtenir l’annulation de divers actes, dont la délibération par laquelle ce contrat a été attribué à Ecolan. Les juges de première instance n’ont cependant pas fait droit à sa demande. La société Riecco a alors interjeté appel de ce jugement devant le Conseil d’Etat italien. A l’appui de son argumentation, celle-ci se prévalait essentiellement de deux moyens, à savoir, d’une part, la méconnaissance des dispositions de l’article 192§2 du Code des contrats publics dans la mesure où la délibération litigieuse ne mentionnait pas correctement les motifs justifiant le recours à l’attribution in house de ce contrat et, d’autre part, la composition irrégulière du capital de Ecolan, comprenant des personnes publiques dont la participation ne leur permet pas d’assurer un contrôle analogue à celui exercé sur leurs propres services, là encore en méconnaissance de la règlementation nationale applicable.
Constatant manifestement le bien-fondé de ces deux arguments, le Conseil d’Etat italien s’est cependant interrogé sur l’éventuelle incompatibilité de ces dispositions nationales – réduisant substantiellement la possibilité de recourir au in house au détriment de la procédure d’appel d’offres – avec l’article 12§ 3 de la directive 2014/24/UE et avec « les principes de liberté et d’autodétermination des personnes publiques ». C’est par la négative que la CJUE a répondu à ces deux questions préjudicielles dont elle a été saisie.
S’agissant d’abord de la première d’entre elle, l’article 192§2 du Code des contrats publics prévoit en effet qu’ « aux fins de l’attribution in house d’un contrat ayant pour objet des services disponibles sur le marché dans un contexte de concurrence, les pouvoirs adjudicateurs procèdent préalablement à une évaluation de l’opportunité économique de l’offre des entités in house, eu égard à l’objet et à la valeur de la prestation, et rendent compte dans la motivation de la décision d’attribution des raisons pour lesquelles il n’est pas recouru au marché, ainsi que des avantages pour la collectivité du mode de gestion retenu, y compris par référence aux objectifs d’universalité et de sociabilité, d’efficience, d’économie et de qualité du service, ainsi que d’emploi optimal des ressources publiques ». Le Conseil d’Etat notait cependant que contrairement aux autres modes d’attribution, notamment l’appel d’offres ainsi que les autres formes de coopération horizontale, l’attribution in house était subordonnée non seulement à la justification par le pouvoir adjudicateur des circonstances l’ayant conduit à écarter le recours à la passation d’un marché public, mais également à l’indication des avantages que ce dernier prévoyait de retirer de l’attribution in house. Mis en perspective avec des décisions jurisprudentielles antérieures se prononçant de manière restrictive sur l’attribution in house, la Haute juridiction s’interrogeait alors sur la compatibilité de cette règlementation avec « les principes de liberté et d’autodétermination des personnes publiques », qui voudrait au contraire que l’attribution in house représente « une sorte d’antécédent logique dans tout choix de l’administration quant à l’autoproduction ou à l’externalisation des services qui sont de son ressort » (pt. 19). Ce n’est pas le point de vue qu’a adopté la Cour de justice, qui a au contraire considéré que l’article 12§1 de la directive, relatif aux opérations internes avait « pour seul effet d’habiliter les Etats membres à exclure une telle opération du champ d’application de la directive 2014/24 » (pt. 32), en conséquence de quoi ces dispositions ne sauraient être interprétées comme privant ces Etats membres de la liberté de privilégier un mode de prestation de services. Autrement dit « de même que la directive 2014/24 n’oblige pas les Etats membres à recourir à une procédure de passation d’un marché public, elle ne saurait les contraindre à recourir à une opération interne lorsque les conditions prévues à l’article 12§1 sont remplies » (pt. 35). Aussi la Cour a-t-elle considéré que la directive 2014/4/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics ne s’opposait pas à ce que la législation nationale subordonne le recours aux contrats in House « à l’impossibilité de passer un marché public et en tout état de cause, à la démonstration par le pouvoir adjudicateur des avantages spécifiquement liés, pour la collectivité, au recours à l’opération interne ».
S’agissant ensuite de la seconde question préjudicielle relative aux participations des personnes publiques au capital d’entités dédiées, il résulte du décret législatif du 19 août 2016 que « les administrations ne peuvent pas, directement ou indirectement, constituer des sociétés ayant pour objet des activités de production de biens et de services qui ne sont pas strictement nécessaires à la poursuite de leurs finalités institutionnelles, ni acquérir ou conserver des participations, mêmes minoritaires, dans de telles sociétés » ; cette réglementation s’opposant ainsi en substance à ce que des administrations acquièrent dans un organisme – dont les actionnaires sont d’autres administrations – des participations au capital (en tout état de cause insusceptibles de garantir le contrôle ou un pouvoir de blocage) alors même que celles-ci envisageraient ultérieurement d’acquérir une position de contrôle conjoint qui leur permettrait de procéder à des attributions directes en faveur de cette entité. Le Conseil d’Etat s’interrogeait alors sur la compatibilité de ces dispositions – qui font concrètement obstacle à l’acquittions d’actions dans une structure à capital public, dès lors que ces actions ne lui garantissent pas un contrôle analogue à celui exercer sur ses services – avec l’article 12§3 de la directive. A cet égard, la Cour est tout d’abord venue rappeler que l’exclusion des règles de passation des marchés publics telle que prévue à cet article était subordonnée « à la condition qu’un pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale concernée, analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services », sans par ailleurs qu’il ne résulte de cet article « aucune exigence relative aux conditions dans lesquelles une administration acquiert dans une société, dont les actionnaires sont d’autres administrations, des participations au capital » (pt. 46). Aussi, celles-ci ne sauraient être interprétées comme s’opposant à ce qu’une règlementation nationale subordonne la participation d’une administration publique au capital d’une entreprise intégralement détenue par d’autres administration, à l’achat d’action lui garantissant immédiatement un contrôle analogue.
CJUE 6 février 2020, C‑89/19 à C‑91/19, Rieco Spa c/ Commune di Lanciano et autres