Précisions sur les conditions d’appel en garantie du maître d’œuvre par le maître d’ouvrage à l’issue de la réception des travaux
Par une décision du 2 décembre 2019 à mentionner aux Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat rappelle et précise les conditions dans lesquelles un maître d’ouvrage peut rechercher, à l’issue de la réception d’un ouvrage, la responsabilité contractuelle de son maître d’œuvre pour le garantir des condamnations pécuniaires dues au titre des surcoûts engendrés par les erreurs de conception de ce dernier.
En l’espèce, pour la construction de son nouvel hôpital, un centre hospitalier avait conclu un marché à prix global et forfaitaire portant sur la réalisation des travaux de fondations et de gros œuvre. La maîtrise d’œuvre de l’opération avait quant à elle été confiée à un groupement, à la faveur d’un marché de prestations intellectuelles régies par les stipulations du CCAG-PI. Dans le cadre du règlement financier du marché de travaux, la société titulaire du lot de gros-œuvre avait sollicité auprès du maître d’ouvrage, la rémunération de travaux supplémentaires.
Ce dernier, condamné par le Tribunal administratif de Montpellier à indemniser son entrepreneur, a contesté le jugement devant la Cour administrative d’appel de Marseille qui l’a certes condamné à son tour à verser à société titulaire la somme de 619 889,79 euros TTC mais a cependant ordonné un complément d’instruction avant de statuer sur l’appel en garantie formé à l’encontre du groupement de maîtrise d’œuvre. Dans un second temps, la Cour administrative d’appel a condamné le groupement de maîtrise d’œuvre à garantir le maître d’ouvrage de cette condamnation à hauteur de 518 372,11 euros TTC, correspondant au montant d’une partie des travaux supplémentaires. Saisi par un pourvoi formé par les sociétés membres du groupement de maîtrise d’œuvre à l’encontre de l’arrêt du 2 juillet 2018, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi mais rectifie à la marge le raisonnement de l’arrêt attaqué, d’où l’intérêt et le fichage de la décision commentée.
En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle que le maître d’ouvrage peut par principe appeler en garantie son maître d’œuvre pour le garantir des surcoûts engendrés par ses fautes contractuelles. Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle, dans l’exacte lignée de sa récente décision Communauté d’agglomération du Grand Troyes, que le maître d’ouvrage peut être fondé à appeler en garantie son maître d’œuvre. Il en va ainsi lorsque la nécessité de procéder aux travaux supplémentaires n’est apparue que postérieurement à la passation du marché et est consécutive à une mauvaise évaluation initiale par le maître d’œuvre, lorsqu’il est établi que le maître d’ouvrage aurait renoncé à son projet de construction ou l’aurait modifié s’il en avait été avisé en temps utile.
En second lieu, le Conseil d’Etat admet l’appel en garantie du maître d’œuvre au seul motif qu’aucun décompte général dans le cadre du marché de maîtrise d’œuvre n’avait été établi, écartant au passage l’argument selon lequel la réception de l’ouvrage n’avait ici aucune incidence à l’égard des prestations de conception du maître d’œuvre. La Cour administrative d’appel de Marseille avait cru bon devoir distinguer au sein des missions du maître d’œuvre, les missions de conception de celles réalisées au stade de la réalisation de l’ouvrage pour considérer que l’effet extinctif de la réception ne concernait que la réalisation de l’ouvrage et non les missions de conception du maître d’œuvre pour ainsi admettre l’appel en garantie du maître d’œuvre au titre de ses manquements dans la conception de l’ouvrage. Là se situait la double erreur de droit, corrigée par le Conseil d’État : la première était de considérer que cet effet extinctif de la réception excluait les missions de conception, la seconde de considérer que cette circonstance avait une incidence sur le bien-fondé de l’appel en garantie. Ensuite, pour admettre l’action dirigée contre le maître d’œuvre, sans distinguer si l’action concernait la phase de conception ou de réalisation, le Conseil d’Etat vient rappeler, que le seul obstacle à l’appel en garantie, par le maître d’ouvrage de son maître d’œuvre, et qui devrait être ici examiné, est l’édiction d’un décompte général et définitif dans le cadre du marché de maîtrise d’œuvre « qui [aurait eu] pour conséquence d’interdire au maître d’ouvrage toute réclamation (…) sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché ».
CE 2 décembre 2019, Société Guervilly et autres, req. n°423544, aux Tables