Possibilité pour le requérant d’introduire de multiples référés précontractuels durant la période de suspension de la signature du contrat litigieux
Par un arrêt du 8 décembre 2020, le Conseil d’Etat précise que le requérant peut introduire autant de référés précontractuels qu’il souhaite tant que la signature du contrat est suspendue conformément aux dispositions de l’article L. 551-4 du code de justice administrative.
La commune de Challans a lancé une consultation en vue de l’attribution d’une concession de service public, d’une durée de trente ans, portant sur la conception, la construction puis l’exploitation d’un crématorium communal. La société Pompes funèbres funérarium Lemarchand a été informée par la commune du rejet de son offre et de l’attribution du contrat au groupement solidaire composé de la société Compagnie des crématoriums, mandataire, et de la société Accueil funéraire 85. La société Pompes funèbres funérarium Lemarchand a introduit un référé précontractuel sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, rejeté par ordonnance du 31 janvier 2020. Une deuxième requête sur le même fondement a été introduite puis rejetée par une ordonnance du 27 février 2020. Enfin, par une troisième requête, la société Pompes funèbres funérarium Lemarchand a demandé à nouveau au juge du référé précontractuel, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’annuler la procédure, lancée par la commune de Challans, de passation de la convention de concession de service public. Toutefois, entre temps, la société a été informée de ce que la convention litigieuse avait été signée le 27 février 2020. Elle a alors présenté de nouvelles observations devant le juge du référé contractuel, sur le fondement des articles L. 551-13 et L. 551-18 du code de justice administrative, afin d’annuler ladite convention ; observations qui ont été rejetées par ordonnance du 28 avril 2020. Elle se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.
Reprenant une solution appliquée en matière de référé suspension selon laquelle « la circonstance que le juge des référés a rejeté une première demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ne fait pas obstacle à ce que la même partie saisisse ce juge d’une nouvelle demande ayant le même objet, notamment en soulevant des moyens ou en faisant valoir des éléments nouveaux, alors même qu’ils auraient pu lui être soumis dès sa première saisine » (CE 29 juin 2020, SCI Eaux douces, req. n° 435502 ; CE 10 octobre 2007, B…, req. n° 304184), le Conseil d’Etat précise dans la présente affaire que l’auteur de l’ordonnance a commis une erreur de droit en relevant que la société évincée avait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels elle aurait pu soulever le manquement dont elle se prévalait et en estimant que cette circonstance faisait obstacle à ce qu’elle soit regardée comme ayant été privée de son droit d’exercer à nouveau un tel recours pendant la période de suspension de signature du contrat (Conclusions du rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil sur l’arrêt CE 8 décembre 2020, Société Pompes funèbres Funérarium Lemarchand, req. n° 440704). Dès lors, tant que la signature du contrat est suspendue conformément aux dispositions de l’article L. 551-4 – « Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle » –, le requérant peut introduire autant de nouveaux référés précontractuels souhaités que de nouveaux manquements soulevés.
Le pourvoi est néanmoins rejeté par substitution à ce motif erroné en droit d’un autre motif qui en justifie le dispositif. En effet, la commune de Challans avait été informée du rejet du référé précontractuel le matin du 27 février 2020, par son avocat à qui l’ordonnance avait été notifiée via Télérecours. Elle avait, par conséquent, procédé à la signature du contrat litigieux le 27 février 2020, à 16h22. Aussi, la signature du contrat litigieux étant intervenue en application de l’obligation de suspension fixée par l’article L. 551-4 du code de justice administrative, la société Pompes funèbres funérarium Lemarchand n’était plus recevable à saisir le juge du référé contractuel.
CE 8 décembre 2020, Société Pompes funèbres Funérarium Lemarchand, req. n° 440704