Quelle indemnisation pour le cocontractant dont le contrat de concession est entaché de nullité ?
Par un arrêt du 12 avril 2021, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle les conditions d’indemnisation d’un cocontractant dont le contrat de concession est entaché de nullité.
La commune de Digne-les-Bains a lancé un projet d’implantation d’un casino. Pour cela, elle a choisi de recourir à une procédure de délégation de service public en vue de sélectionner un opérateur chargé de construire et d’exploiter cet équipement. Une seule société Atoll Finances a présenté sa candidature. Au cours des négociations, la commune et la société candidate ont décidé de séparer l’exploitation du casino, dévolue à la société Atoll Finances par la convention de délégation de service public à conclure, et la construction de l’établissement, confiée à la société 2J-IMMO au terme d’un projet de compromis de vente par lequel la collectivité s’engageait à céder le terrain d’assiette du futur bâtiment du casino à cette société. La signature de ces deux contrats a été approuvée par le conseil municipal le 14 décembre 2006 et la convention de délégation de service public a été conclue le 5 avril 2007.
Le préfet des Alpes de Haute-Provence a saisi le Tribunal administratif de Marseille de deux requêtes par lesquelles il a sollicité, d’une part, l’annulation de la délibération du 14 décembre 2006 et, d’autre part, l’annulation du contrat de délégation de service public. Le Tribunal administratif de Marseille a annulé la délibération du 14 décembre 2006 et la convention de délégation de service public conclue le 5 avril 2007 par jugement du 21 mai 2008. Par suite, la société Atoll Finances a saisi à son tour le Tribunal administratif de Marseille afin qu’il condamne la commune de Digne-les-Bains à l’indemniser des conséquences de l’annulation de cette convention en lui versant d’une part, la somme de 194 170 euros, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et, d’autre part, la somme de 21 402 411 euros sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle. Le tribunal a rejeté sa demande par jugement du 27 juillet 2018. C’est le jugement dont est saisi la Cour administrative d’appel de Marseille.
La Cour rappelle, d’une part, que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut obtenir remboursement, sur un terrain quasi-contractuel, des dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Lorsqu’il s’agit d’une concession de service public comme en l’espèce, le cocontractant peut « demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l’exploitation du service font retour à l’administration, des dépenses d’investissement qu’il a consenties, ainsi que du déficit qu’il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service ».
Il s’agit alors d’une indemnisation fondée sur l’enrichissement sans cause : sont indemnisées les dépenses qui ont été utiles à l’administration. Par définition, l’abandon du projet faisant directement l’objet des prestations fournies est de nature à priver les dépenses engagées par le cocontractant de toute utilité pour l’administration, à l’exception du cas où cet abandon est justifié par des difficultés révélées par ces études. Or, précisément en l’espèce, le projet a été abandonné par la commune. Dès lors, les dépenses dont la requérante sollicitait l’indemnisation sont jugées dépourvues de toute utilité pour la commune de Digne-les-Bains et aucun enrichissement sans cause de la commune n’est caractérisé.
D’autre part, la Cour rappelle que « Dans le cas où la nullité du contrat résulte d’une faute de l’administration, il peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. À ce titre, il peut demander le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée ». Il s’agit d’obtenir l’indemnisation sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de l’Administration à condition de démontrer des fautes de cette dernière à l’origine des frais engagés.
En l’espèce, la Cour a estimé qu’eu égard à l’expérience respective du délégataire et du délégant, également faible en matière de passation de délégations de service public portant sur de telles opérations, et à la contribution de chacune à la commission de l’illégalité commise, ainsi qu’à l’absence de manœuvre dolosive, il y avait lieu de regarder la société Atoll Finances et la commune comme responsables de la survenance de celle-ci à hauteur de 50 %. Aussi, la Cour a fait droit à la demande de la requérante concernant les sommes exposées pour l’attribution et l’exécution du contrat à hauteur de 50%, soit 39 209,63 euros.
Par conséquent, la Cour annule le jugement rendu par le Tribunal administratif de Marseille le 27 juillet 2018 et condamne la commune à verser à la société Atoll Finances la somme de 39 209,63 euros.
CAA Marseille 12 avril 2021, Commune de Digne-les-Bains, req. n°18MA04362, Inédit au recueil Lebon