Recours contentieux contre une personne privée : en l’absence de mission de service public administratif de la personne privée, pas de décision préalable nécessaire à une action contentieuse
Par un avis rendu le 27 avril 2021, qui sera publié au recueil Lebon, le Conseil d’Etat a considéré que les actions contentieuses visant une personne morale de droit privée non chargée d’une mission de service public administratif ne pouvaient être soumises aux dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative.
Cet avis, consacrant un cas assez rare de non-liaison du contentieux administratif, repose sur une interprétation parfaitement logique des dispositions combinées du code de justice administrative et du code des relations entre le public et l’administration.
L’article R. 421-1 du CJA prévoit un délai de deux mois pour saisir la juridiction administrative d’un litige, ce délai courant à compter de « la notification ou de la publication de la décision attaquée ». Classiquement, le requérant doit donc préciser clairement la décision qu’il souhaite attaquer devant la juridiction administrative (CE 8 juin 1998, Minvielle, req. n°163137). Ce principe s’applique aussi pour les demandes indemnitaires, qui doivent être fondées sur une décision administrative préalable pour être recevables devant le juge administratif, charge pour le requérant de provoquer la création de cette décision (CE 7 juillet 2006, Maugat, req. n°285669).
L’effectivité de cette exigence procédurale, étendue aux actions relevant de la matière des travaux publics depuis le 1er janvier 2017 (Décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016), n’est cependant assurée que par l’application du principe selon lequel le silence de l’administration fait naître une décision contestable. Deux précisions doivent, à cet égard, être apportées.
La première concerne la nature de la décision née du silence de l’administration. Le code des relations entre le public et l’administration a en effet prévu que le silence de l’administration après un délai de deux mois vaut, par principe, acceptation de la demande formulée (art. L. 231-1). Par exception cependant, et dans un certain nombre de cas visés, le silence de l’administration après un délai de deux mois vaut rejet de la demande (art. L. 231-4).
La seconde concerne la qualification de « l’administration » dont le silence fait naitre une décision. L’article L. 100-3 du CRPA précise à cet égard qu’on entend par administration : « les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif ». Dans ces termes donc, une personne morale de droit privé non chargée d’une mission de service public administratif ne peut créer de décision implicite par son silence pendant plus de deux mois.
C’est sur la base de ces textes que le Conseil d’Etat a été saisi d’une demande d’avis de Tribunal administratif de Bastia, s’interrogeant sur la possibilité d’appliquer le délai de recours visé à l’article R. 421-1 du CJA aux conclusions dirigées contre une personne dont le silence pendant deux mois ne fait naître aucune décision.
Dans son avis du 27 avril 2021, le Conseil d’État répond négativement à cette interrogation, constatant que « aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande par une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif », et déduisant de ce constat que « les conclusions relatives à une créance née de travaux publics, dirigées contre une telle personne privée ne sauraient être rejetées comme irrecevables faute de la décision préalable prévue par l’article R. 421-1 du CJA ».
Le Conseil d’Etat répond, en outre, à la seconde interrogation du Tribunal administratif de Bastia en écartant logiquement l’application de l’article R. 411-1 du CJA, en estimant que « il ne peut être opposé à l’auteur d’un tel recours aucun délai au-delà duquel il ne pourrait, devant la juridiction de première instance, régulariser sa requête au regard de l’article R. 411-1 ou formuler des conclusions présentant le caractère d’une demande nouvelle car reposant sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa requête ».
CE Avis, 27 avril 2021, Communauté de communes du Centre Corse, req. n° 448467