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Covid-19 : non-interruption dérogatoire pour les enquêtes publiques des projets d’intérêt national et à caractère urgent

31 mars 2020

Les mesures de confinement ont fait naître une grande incertitude s’agissant des procédures d’enquête publique en cours. Nombre d’entre elles avaient, logiquement, déjà été interrompues en application de l’article R. 123-5 du code de l’environnement, les décrets du 14 et 16 mars 2020 empêchant de facto les commissaires-enquêteurs de tenir leurs permanences (par exemple : TA Rennes, 17 mars 2020), sans qu’il soit légalement possible de faire autrement.

Cette situation nécessitait donc un encadrement spécifique visant à assurer, d’une part, le respect des procédures de consultation en cours, et d’autre part, la sécurité juridique des projets. Tentant de combiner ces deux nécessités, et de les coordonner avec l’obligation de ne pas retarder des projets jugés importants, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 a mis en place un double traitement des enquêtes publiques en cours ou à venir pendant la période d’état d’urgence sanitaire.

De manière générale, les enquêtes publiques sont en effet prorogées jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin d’une période comprise entre le 12 mars 2020 et « l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » (art. 3 de l’ordonnance). Ce principe fait cependant l’objet d’une dérogation visée à l’article 12 de l’ordonnance, lequel présente deux possibilités à l’autorité organisatrice de l’enquête :

  • Soit proroger le délai de l’enquête publique dans les conditions visées à l’article 3 de l’ordonnance ;
  • Soit organiser (ou poursuivre) l’enquête en ne recourant qu’à des moyens électroniques dématérialisés. L’ordonnance prévoit à cet égard, dans le seul cas où l’enquête était déjà en cours au 12 mars 2020, d’adapter la durée totale de l’enquête afin de tenir compte de l’interruption due à l’état d’urgence.

À l’issue de la période susvisée, et dans le cas où l’enquête est toujours en cours, l’autorité organisatrice disposera alors de la possibilité (sans qu’elle n’y soit tenue) de revenir aux modalités d’organisation de droit commun.

Cette procédure dérogatoire, dont les conséquences pour la participation aux enquêtes peuvent être particulièrement importantes, a été limitée à une catégorie de projets visés au même article : elle concerne uniquement des projets « présentant un intérêt national » (i), qui ont « un caractère urgent » (ii) et sur lesquels l’état d’urgence sanitaire « est susceptible d’entrainer des conséquences difficilement réparables » sur lesdits projets (iii). Le caractère imprécis de ces trois critères cumulatifs devrait cependant inciter à la prudence quant à l’interprétation qu’il convient d’en faire.

Tel est le cas, tout d’abord, du caractère « d’intérêt national » d’un projet. Cette caractéristique peut, certes, s’apparenter aux projets permettant la saisine de la commission nationale du débat public (art. L. 121-1, L. 121-8 et R. 121-2 du code de l’environnement). Cependant, sans renvoi express à ces catégories de projets, il ne paraît pas impossible que d’autres projets puissent présenter un intérêt national suffisant au sens de l’ordonnance.

Le caractère urgent, ensuite, suppose un contrôle juridictionnel qui se voudra approprié, mais sans que nous n’en connaissions encore les contours. S’il est acquis que le caractère urgent du projet n’aura pas nécessairement de lien avec la situation sanitaire actuelle, il apparaît à ce stade difficile de juger de ce qui présente un caractère suffisamment urgent pour qu’il soit dérogé aux règles organisant les enquêtes publiques. On notera simplement que cette urgence ne devrait évidemment pas correspondre aux conséquences potentielles de l’allongement de la procédure sur les acteurs du projet.

Enfin, la notion de conséquences difficilement réparables peut, quant à elle, s’appuyer sur une jurisprudence un peu plus fournie concernant les procédures de sursis à exécution (par exemple : art. R. 811-17 du code de justice administrative). Il conviendra à cet égard d’établir quelles conséquences peuvent avoir le décalage dans le temps des enquêtes publiques sur les projets visés, étant précisé que les pertes d’exploitation susceptibles d’entrainer le licenciement d’une partie du personnel du prestataire peut être qualifiée de conséquence difficilement réparable (CE 29 janvier 2020, Société Distribution Casino France, req. n°435224).

La prudence est donc nécessaire pour les autorités organisatrices dans leur choix d’organiser une dématérialisation de la procédure d’enquête, celle-ci pouvant potentiellement ne pas revêtir les caractéristiques suffisantes pour qu’elle soit régulière.

Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période

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