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Admission des moyens de preuve déloyaux devant le juge civil dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable

18 janvier 2024

Dans deux arrêts d’Assemblée plénière du 22 décembre 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, en reconnaissant désormais que le juge civil puisse tenir compte d’éléments de preuve obtenus de manière déloyale, c’est-à-dire à l’insu de la personne mise en cause. Elle s’aligne ainsi sur la jurisprudence européenne.

Dans la première affaire (n°20-20.648), en appel, les juges avaient déclaré irrecevables les preuves ayant été recueillies par des enregistrements clandestins et apportées par l’employeur au soutien du licenciement d’un salarié. Ces éléments permettaient d’attester que le salarié avait expressément refusé de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale. Depuis un arrêt d’Assemblée plénière de 2011, selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation considérait, conformément au principe de loyauté de la preuve, qu’était irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n°09-14.316). Mais à l’occasion de ce contentieux, elle fait évoluer sa position et se conforme ainsi au droit européen. La Cour de cassation décide que, désormais, « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Dans la seconde affaire (n°21-11.330), un salarié avait été licencié pour faute grave en raison de propos échangés lors d’une conversation privée avec une collègue au moyen de la messagerie intégrée au compte Facebook personnel du salarié installé sur son ordinateur professionnel. Cet échange avait été découvert et communiqué à l’employeur par le remplaçant intérimaire du salarié concerné. La Cour de cassation refuse à l’employeur la possibilité d’invoquer cet élément de preuve au soutien du licenciement du salarié, rappelant « qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail » – ce qui n’était pas le cas en l’espèce dès lors qu’une conversation privée, qui n’était pas destinée à être rendue publique, ne pouvait constituer un tel manquement. Cette décision consolide une jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation.

En conséquence, le juge civil peut désormais tenir compte d’éléments de preuve obtenus de manière déloyale lorsque ceux-ci permettent d’établir un manquement à une obligation contractuelle, ce qui ne saurait être le cas d’une conversation privée non destinée à être rendue publique.

 

Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648 et Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 21-11.330

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