Par un arrêt du 16 novembre, publié au Bulletin, la Cour de cassation confirme la compétence de la juridiction judiciaire pour indemniser le préjudice subi par le titulaire d’un permis de construire ayant fait l’objet d’un recours abusif et sa complémentarité avec celle du juge administratif.
Si les faits qui ont abouti à cette décision sont habituels en contentieux de l’urbanisme, les voies de droit employées par les parties le sont, en revanche, beaucoup moins. Plusieurs voisins ayant demandé l’annulation d’un permis de construire devant les juridictions administratives, la société pétitionnaire les a assignés, pour abus de droit, devant le Tribunal de grande instance de Saintes et sollicitait leur condamnation au paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Faisant droit à l’exception d’incompétence soulevée par les défendeurs, le juge de la mise en état a estimé que l’indemnisation du préjudice résultant de l’exercice d’un recours abusif contre un permis de construire relevait exclusivement de la compétence des juridictions administratives ; l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme créant une « règle d’indemnisation spéciale [qui] déroge aux règles générales de l’abus de droit ».
Créé par l’ordonnance du 18 juillet 2013 afin de lutter contre les recours « mafieux », cet article permet en effet au bénéficiaire d’un permis de construire, qui fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, de présenter des conclusions reconventionnelles en vue de la condamnation de l’auteur du recours au paiement de dommages-intérêts. Mais cette possibilité est strictement encadrée : elle ne peut être mise en œuvre que si le recours excède « la défense des intérêts légitimes du requérant » et cause « un préjudice excessif au bénéficiaire du permis ».
Par un arrêt particulièrement motivé, la Cour d’appel de Poitiers censurait l’ordonnance au motif que la « voie de droit nouvelle » instituée par l’article L. 600-7 n’a « ni pour objet ni pour effet d’imposer une compétence exclusive du juge administratif […] et d’écarter la compétence générale du juge civil en matière d’indemnisation intégrale du préjudice subi du fait d’un recours abusif ». Et les juges du fond d’en déduire que « la nouvelle règle permettant une indemnisation spéciale [ne déroge pas] aux règles générales de l’abus de droit ».
Prolongeant son raisonnement, la Cour a considéré que le juge judiciaire était toujours compétent pour statuer sur les conséquences d’un recours abusif en matière de permis de construire, peu importe qu’une « demande de réparation parallèle ou successive [ait été formulée] devant les deux ordres de juridictions puisque les conditions d’octroi de dommages-intérêts sont plus restrictives dans le cadre d’une action fondée sur l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme permettant d’indemniser seulement un « préjudice excessif » que dans celui d’une action fondée sur l’article 1382 du code civil ouvrant droit à une réparation intégrale du préjudice subi selon le droit commun ». Et de préciser qu’il n’y a pas lieu « de craindre une double réparation puisque toute double demande indemnitaire portant sur les mêmes chefs de préjudice serait jugée nécessairement irrecevable par l’une ou l’autre des juridictions saisies ».
Saisie par les voisins, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la solution retenue par la Cour d’appel en jugeant que l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme « n’avait ni pour objet ni pour effet d’écarter la compétence de droit commun du juge judiciaire pour indemniser, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du code civil, le préjudice subi du fait d’un recours abusif ». Ce faisant, la Cour retient une solution similaire à celle rendue en début d’année par le Tribunal de grande instance de Rouen (TGI Rouen, ord., 26 janvier 2016, RG n°14/02/087 : JurisData n°2016-003229).
En pratique, le bénéficiaire d’un permis de construire faisant l’objet d’un recours qu’il estime abusif dispose de deux solutions : présenter des conclusions reconventionnelles devant le juge administratif ou assigner le requérant devant les juridictions judiciaires. Puisque la première option semble limitée à l’indemnisation d’un « préjudice excessif », peut-être sera-t-il préférable, à l’avenir, de s’adresser directement au juge judiciaire qui accepte d’indemniser les préjudices « quelconques ». Reste alors à déterminer où se situe la frontière entre préjudice quelconque et excessif. Partant, il semble que les bénéficiaires de permis et leurs conseils devront évaluer, en amont, la « gravité » du préjudice subi du fait de l’exercice du recours abusif afin de déterminer devant quel ordre de juridiction leur demande a le plus de chance de prospérer.
Références
Cass. Civ. 1ère 16 novembre 2016, pourvoi n°16-14.152, publié au Bulletin