Aucun texte ni aucun principe n’impose à l’administration de chercher à reclasser un fonctionnaire préalablement à son licenciement pour insuffisance professionnelle. Cette solution, résultant d’un très récent arrêt rendu par le Conseil d’État le 18 janvier2017, vient donc expressément circonscrire la portée qu’il convient de donner à l’article 70 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, sur le fondement duquel cette décision a été rendue.
Certes, avant l’entrée en vigueur de ce texte, l’ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires disposait que « le fonctionnaire qui fait preuve d’insuffisance professionnelle est, s’il ne peut pas être reclassé dans un autre emploi, soit admis à faire valoir ses droits à la retraite, soit licencié ». Sur ce fondement, la jurisprudence a pu, à diverses reprises, juger que cette disposition imposait de rechercher à reclasser dans un autre emploi l’agent ayant fait preuve d’une telle inaptitude professionnelle dans l’exercice des fonctions qui lui étaient confiées (voir notamment en ce sens : CE Ass. 9 juin 1972, Reilhes, req. n° 69024, Rec. p. 425 ; CE 5 mai 1976, Sieur Y…X… Abdelkader, req. n°88211, publié au Recueil : « qu’il résulte de cette disposition qu’un fonctionnaire ayant fait preuve d’insuffisance professionnelle doit être reclassé soit dans un autre emploi de son corps soit, à défaut, dans un emploi équivalent d’un autre corps de la même catégorie »). Cette formulation n’a cependant pas été reprise par l’article 70 précité de la loi du 11 janvier 1984, qui ne conditionne donc plus expressément le licenciement pour insuffisance professionnelle à l’impossibilité de reclassement de l’intéressé.
Pour autant, il ressort de la jurisprudence du Conseil d’État que cette obligation de reclassement, dans d’autres circonstances, peut s’imposer même sans texte – en vertu d’un principe général du droit s’inspirant tant des dispositions du Code du travail que des règles issues du statut général de la fonction publique –, comme c’est le cas, notamment, pour les agents contractuels recrutés à titre dérogatoire, écartés de leur poste pour qu’y soit affecté un agent titulaire (CE Avis, Section du contentieux, 25 septembre 2013, Mme B… A…, n°365139 : « Il résulte toutefois d’un principe général du droit, dont s’inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés dont l’emploi est supprimé que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l’emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu’il incombe à l’administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à reclasser l’intéressé » ; voir également : CE 26 mai 2014, Ministre de l’éducation nationale, req. n° 366197), ou encore pour ces mêmes agents, lorsque leur emploi serait purement et simplement supprimé (CE, 18 décembre 2013, Ministre de l’éducation nationale, req. n°366369, mentionné aux Tables), ou encore dans l’hypothèse dans laquelle un salarié est atteint d’une inaptitude physique définitive à occuper son emploi (CE 2 octobre 2002, Chambre du commerce et de l’industrie de Meurthe-et-Moselle, req. n° 227868, Rec. p. 319 : « que lorsqu’il a été médicalement constaté qu’un salarié se trouve de manière définitive atteint d’une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l’employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d’impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l’intéressé, son licenciement »).
Cependant, dans chacune de ces trois situations, l’obligation de reclassement s’impose à l’administration pour des raisons extérieures à l’agent, dont la manière de servir n’est aucunement remise en cause. Et c’est précisément cette différence que semble vouloir marquer le Conseil d’État, dans la décision commentée, en mentionnant « le fonctionnaire qui ne parvient pas à exercer [les fonctions] qui correspondent à son grade » pour justifier de son refus de dégager un principe général du droit similaire pour les agents titulaires licenciés sur le fondement de leur insuffisance professionnelle.
Le Conseil d’État confirme donc la solution retenue par la Cour administrative d’appel de Paris en jugeant que « celle-ci n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le Ministre chargé de l’éducation nationale avait pu licencier M. A…. pour insuffisance professionnelle sans avoir préalablement cherché à le reclasser dans d’autres emplois que ceux correspondants à son grade ».
Reste que la généralité des termes employés par cet arrêt pose la question de la pérennité de la jurisprudence applicable aux salariés protégés, qui impose en principe à l’administration de chercher à les reclasser avant de prononcer leur licenciement pour insuffisance professionnelle (voir par exemple en ce sens: CE 23 décembre 2010, Mme Joëlle A…, req. n° 333169) ; obligation cependant déjà remise en cause par un récent arrêt du Conseil d’État confirmant la solution retenue par la Cour administrative d’appel qui admettait que l’employeur du salarié protégé n’était pas tenu de rechercher un poste permettant son reclassement et pouvait ainsi le licencier en vue de son remplacement définitif en raison des perturbations graves que causaient ses absences prolongées et répétées (CE 9 mars 2016, Mme B… A…, req. n° 378129, mentionné aux Tables).
Références
CE 18 janvier 2017, M. B… A…, req. n° 390396, sera publié au Recueil