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Le Conseil d’État célèbre Pâques : résurrection de… la domanialité publique virtuelle !

29 avril 2016

Par un important arrêt du 13 avril 2016, le Conseil d’État ramène à la vie la théorie de la domanialité publique virtuelle en jugeant qu’un bien peut appartenir au domaine public d’une personne publique alors même qu’il ne fait pas encore l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de service public auxquelles il est affecté.

Dans cette affaire, la commune de Baillargues a décidé de réaliser un plan d’eau artificiel destiné à la pratique des activités sportives et de loisir – et pouvant servir de bassin d’écrêtement des crues – sur une surface d’une douzaine d’hectares. Le Préfet de l’Hérault ayant déclaré l’utilité publique des travaux, la Commune a exproprié certaines parcelles afin d’augmenter la surface des terrains dont elle était propriétaire et de les utiliser pour le plan d’eau.

Certains propriétaires ont alors assigné la Commune devant le Tribunal d’instance afin que soit établi un bornage entre la partie expropriée et non-expropriée de leurs parcelles, mais le Tribunal a sursis à statuer et transmis une question préjudicielle au Tribunal administratif de Montpellier afin de déterminer si les parcelles expropriées appartenaient ou non au domaine public de la Commune. En effet, rappelons que l’action en bornage prévue à l’article 646 du Code civil est inapplicable au domaine public (Cass. Civ. 3e, 14 novembre 2002, Commune de La Gaude, pourvoi n°00-13.842).

Par un jugement du 6 juin 2015, le TA a considéré que les parcelles expropriées n’appartenaient pas au domaine public de la Commune au motif qu’elles « [n’avaient] pas encore reçu l’affectation prévue par l’arrêté portant déclaration d’utilité publique, alors même que les travaux de réalisation du projet [avaient] débuté ». Ce faisant, le Tribunal a simplement fait application des dispositions de l’article L.2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) qui prévoit que le domaine public est constitué « des biens […] qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ».

En effet, depuis l’entrée en vigueur du CGPPP, il est admis qu’un bien ne peut appartenir au domaine public que s’il fait déjà l’objet d’un aménagement indispensable à la date d’entrée dans le domaine public (CE, 8 avril 2013, Association ATLALR, req. n°363738). En d’autres termes, le CGPP et le Conseil d’État sont réputés avoir mis fin à la théorie de la domanialité publique virtuelle selon laquelle un bien pouvait appartenir au domaine public dès l’instant où le propriétaire avait prévu, avec certitude, de l’affecter à l’usage du public ou à un service public (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat, req. n°41589).

En l’espèce, les parcelles expropriées par la Commune n’ayant fait l’objet d’aucun aménagement indispensable et nécessaire à l’exécution d’une mission de service public, elles ne pouvaient pas appartenir « par anticipation » au domaine public.

Pourtant, saisi d’un pourvoi par la Commune, le Conseil d’État a, par un considérant de principe semblant ressusciter la théorie de la domanialité publique virtuelle, jugé que « quand une personne publique a pris la décision d’affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l’ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public ». Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit en ne recherchant pas « s’il résultait de l’ensemble des circonstances de droit et de fait, notamment des travaux dont il constatait l’engagement, que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de service public auquel la commune avait décidé d’affecter ces terrains pouvait être regardé comme entrepris de façon certaine ».

Ainsi, dès lors que la personne publique a pris la décision d’affecter le bien à un service public, son appartenance au domaine public n’est désormais plus conditionnée à l’existence préalable d’un aménagement indispensable, il suffit simplement que cet aménagement puisse être regardé comme entrepris de façon certaine eu égard à l’ensemble des circonstances de droit et de fait. Et tel est, semble-t-il, précisément le cas lorsque des travaux ont été engagés sur le bien en cause, comme c’était le cas en l’espèce.

Finalement, l’arrêt Commune de Baillargues, qui semble ressusciter la théorie de la domanialité publique virtuelle, abandonnée après l’entrée en vigueur du CGPPP, ne fait que consacrer une hypothèse déjà envisagée par la doctrine ministérielle en 2010 : « Il ressort donc de la lettre et de l’esprit de l’article L. 2111-1 [du CGPPP] que cette théorie n’est plus applicable. Il est maintenant exigé une certaine effectivité de l’aménagement ou, au moins, le début des travaux nécessaires à sa réalisation » (Rép. Min. n°74002, JO AN du 3 août 2010, p.8551). En pratique, il appartient donc aux personnes publiques d’être particulièrement attentives à l’ampleur des aménagements réalisés sur les terrains dont elles sont propriétaires. En effet, dès lors que l’appartenance au domaine public emporte application d’un certain nombre de règles et contraintes (ex : déclassement préalable à la vente…), les propriétaires publics devront veiller à bien identifier la nature de chaque parcelle avant toute prise de décision.

Référence

CE 13 avril 2016, Commune de Baillargues, req. n° 391431, sera publié au Recueil

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