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Le Conseil d’Etat ouvre aux tiers un recours de plein contentieux contre la décision de refus de résilier un contrat administratif

26 juillet 2017

Par une importante décision en date du 30 juin 2017, la Section du Contentieux du Conseil d’État consacre une nouvelle voie de droit au profit des tiers à l’encontre de la décision de refus de l’administration de résilier un contrat administratif, à la faveur d’un abandon d’une jurisprudence ancienne réservant ce recours aux actes détachables (CE, 24 avril 1964, SA de Livraisons industrielles et commerciales, req. n° 53518, Rec. p. 239).

Le contrat, objet du litige, a pour objet l’exploitation d’une liaison maritime – Dieppe – Newhaven – conclu entre le syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (SMPAT) et un opérateur de transport maritime. Les sociétés exploitantes du tunnel sous la Manche, la société France-Manche et The Channel Tunnel Group, ont demandé à la SMPAT de résilier ce contrat, ce qu’a implicitement refusé le syndicat, refus implicite qui fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Rouen. Rejeté en première instance, le recours est admis par la Cour administrative d’appel de Douai qui considère que le SMPAT a méconnu les règles du code des marchés publics lors de la procédure de passation et enjoint au pouvoir adjudicateur de résilier le contrat, dont le terme, fixé au 31 décembre 2014, avait été prorogé par avenant jusqu’au 31 décembre 2017, dans un délai de six mois suivant la notification de cet arrêt.

Le SMPAT forme alors un pourvoi devant le Conseil d’État qui, par une décision du 22 juillet 2016, fait droit aux conclusions à fins d’annulation du syndicat en annulant l’arrêt attaqué au motif que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à se plaindre du rejet de leur requête par le Tribunal administratif de Rouen.

En ce qui concerne les caractéristiques générales de ce nouveau recours, on relèvera, d’une part, que l’office du juge peut aller jusqu’à ordonner qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat dès lors qu’une telle mesure ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, le cas échéant avec effet différé. D’autre part, il importe de souligner que la solution ainsi dégagée est d’application immédiate et concerne donc tant les contrats en cours d’exécution que les contrats à venir.

Pour le reste, le Conseil d’État transpose la grille de lecture binaire du recours en contestation de validité du contrat qui s’articule autour, d’une part, de l’intérêt à agir et, d’autre part, des moyens invocables, tout en réservant quelques subtilités propres

En premier lieu, les requérants ayant intérêt à agir pour contester ce refus sont sensiblement les mêmes que ceux visés par la décision Département de Tarn-et-Garonne à savoir, les tiers susceptibles d’être lésés de manière directe et certaine par la mesure litigieuse et les membres de l’organe délibérant. Il ne s’agit toutefois pas ici d’ouvrir aux tiers lésés un recours en contestation de validité du contrat à retardement, puisque ces derniers ne peuvent se prévaloir que d’une lésion résultant de la poursuite de l’exécution du contrat, et non de sa conclusion. Ainsi, les concurrents évincés ne sauraient se prévaloir de cette qualité pour revendiquer un intérêt à contester la mesure, de sorte qu’il s’agira d’établir que c’est bien la poursuite de l’exécution du contrat qui porte atteinte à leurs intérêts, et non sa conclusion.

En second lieu, les moyens invocables sont présentés selon le même considérant de principe que celui la décision Département de Tarn-et-Garonne : « les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu’ils le sont par le représentant de l’État dans le département ou par les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut ». Mais le Conseil d’État va plus loin en ajoutant à cette règle générale trois types de moyens limitativement énumérés pouvant être invoqués par les requérants :

  • l’obligation pour la personne publique de mettre fin à l’exécution du contrat du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours ;
  • l’existence d’irrégularités faisant obstacle à la poursuite de son exécution que le juge devrait relever d’office ;
  • une poursuite de l’exécution du contrat manifestement contraire à l’intérêt général, notamment lorsque l’inexécution d’une obligation contractuelle est d’une gravité telle qu’elle compromet manifestement l’intérêt général.

En dehors de ces trois cas, aucun autre moyen ne saurait être invoqué. Le Conseil d’État écarte en particulier la possibilité d’invoquer les irrégularités relatives aux « conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise ».

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État fournit une parfaite illustration de l’esprit de cette nouvelle voie de droit, qui ne doit en aucun cas servir de session de rattrapage aux candidats évincés ayant négligé d’exercer un recours en contestation de validité du contrat. Ainsi, le Conseil d’État écarte comme inopérant le moyen, présenté par les requérantes, tenant à l’irrégularité de la procédure de passation, et ce faisant, rejette le pourvoi.

CE Sect., 30 juin 2017, Sociétés France Manche et The Channel Tunnel Group, req. n° 398445, Publié au recueil

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