Par un arrêt du 23 décembre 2016, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité de trois décrets du 21 août 2015 portant approbation de sept avenants aux conventions passées entre l’État et des sociétés autoroutières pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes. Cette décision présente un intérêt à deux points de vue.
En premier lieu, du point de vue contentieux, le Conseil d’État a précisé les conséquences de sa décision Département du Tarn-et-Garonne (CE Ass. 4 avril 2014, req. n° 358994 : Rec. CE 2014, p. 70). Par cette décision de principe, le Conseil d’État avait affirmé que « la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer » ne pouvait être contestée qu’à l’occasion d’un recours de pleine juridiction dirigé contre le contrat lui-même. Seules les clauses réglementaires des contrats administratifs échappaient à cette règle, et continuaient de pouvoir être attaquées par le biais d’un recours pour excès de pouvoir (CE Ass. 10 juillet 1996 Cayzeele, req. n° 138536 : Rec. CE 1996, p. 274). Or, dans l’affaire commentée, les requérants avaient dirigé leurs recours non pas contre les avenants eux-mêmes, mais contre les décrets, c’est-à-dire contre les actes détachables. Dans son arrêt du 23 décembre 2016, le Conseil d’État a atténué la portée de sa jurisprudence Tarn-et-Garonne, rappelée ci-avant. Il a admis que « les tiers qui se prévalent d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester devant le juge de l’excès de pouvoir la légalité de l’acte administratif portant approbation du contrat » mais tout en limitant ce recours aux moyens tirés des vices propres de l’acte détachable. Cela signifie qu’à l’occasion d’un tel recours, il sera possible de soulever des moyens visant la décision de signer elle-même (par exemple l’incompétence de l’auteur de cette décision, le vice de procédure dans l’adoption de la délibération le cas échéant, etc.), mais pas des moyens critiquant le contrat.
En second lieu, du point de vue de l’exécution des contrats de concession, le Conseil d’État a fait une application intéressante des dispositions de l’article 13-1 du décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 relatif aux contrats de concession de travaux publics, relatives à la modification de ces concessions. En effet, les requérants critiquaient les décrets attaqués en tant que les avenants qu’ils approuvaient comprenaient des clauses confiant aux concessionnaires d’autoroutes des travaux supplémentaires. Sans répondre à la question de savoir si ces clauses avaient un caractère réglementaire (ce qui est une condition de recevabilité des conclusions dirigées contre ces clauses), le Conseil d’État a rejeté ces conclusions au fond. Dans un premier temps, il a écarté le moyen tiré de l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 13-1 du décret n° 2010-406 du 26 avril 2010, en estimant que cette disposition ne méconnaissait pas le principe constitutionnel de libre accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Il a même considéré que cette disposition avait en réalité transposé de manière anticipée l’article 43 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession. Dans un second temps, le Conseil d’État a écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 13-1 précité, en analysant l’ensemble des conditions posées par cette disposition. D’abord, il a estimé que les travaux en cause, eu égard à leur objet, étaient devenus nécessaires pour assurer l’exploitation des concessions. Ensuite, il a observé que le montant de ces travaux n’était pas supérieur à 50% du montant des contrats initiaux. Enfin, il a considéré qu’un changement de concessionnaire serait impossible du fait des liens étroits entre les équipements concernés et les biens et services concédés, et serait donc de nature à entraîner pour l’État une augmentation substantielle des coûts en raison des indemnités qui seraient dues.
L’abrogation du décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 à compter du 1er avril 2016 ne remet pas en cause l’intérêt doctrinal de cette analyse. En effet, ainsi que l’a noté le Conseil d’État, l’article 13-1 du décret n° 2010-406 du 26 avril 2010, qui avait été modifié par un décret du 6 novembre 2014, reprenait les dispositions de l’article 43 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014. Désormais, ces dispositions sont transposées en droit interne aux articles 36 et 37 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession. En conséquence, l’analyse du Conseil d’État, tant en ce qui concerne la constitutionnalité de ces dispositions qu’en ce qui concerne leurs modalités d’application, conserve tout son intérêt.
Références