L’incompatibilité absolue entre missions de contrôle technique et activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage
En principe, l’appréciation de la capacité d’un groupement d’entreprises doit se faire globalement. Un marché peut donc être attribué à un groupement dont l’ensemble des membres ne remplissent pas les conditions de capacité requises par le marché (CE, 4 avril 2018, Société Altraconsulting, req. n° 415946, publié au recueil : à propos d’un marché de service portant à la fois sur des prestations rentrant dans le champ d’application de la loi du 31 décembre 1971 mais aussi sur des prestations non assimilables à des consultations juridiques).
Tel n’est cependant pas le cas lorsque la loi pose une incompatibilité de principe entre les différentes missions prévues dans l’objet du marché. C’est ce qu’avait déjà jugé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 18 juin 2010 au sujet l’activité de contrôle technique. Il est en effet expressément prévu à l’article L. 111-25 du Code de la construction et de l’habitation que « l’activité de contrôle technique est soumise à agrément. Elle est incompatible avec l’exercice de toute activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage ».
Sur ce fondement, le Conseil d’État juge qu’il résulte de ces dispositions que le législateur a « entendu prohiber toute participation à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage des personnes physiques ou morales agréées au titre du contrôle technique d’un ouvrage », étant précisé que la circonstance que le marché en cause ne doit pas s’analyser, en lui-même, comme un marché de construction faisait appel à l’intervention d’un contrôleur technique est sans incidence (CE, 18 juin 2010, Ministre d’Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la justice et des libertés, req. n° 336418, mentionné aux Tables).
C’est cette interdiction, « absolue », qu’est venu rappeler le Conseil d’Etat dans une décision du 27 avril dernier.
Dans cette espèce, la Ville de Paris avait lancé une procédure d’appel d’offres pour la passation de plusieurs accords-cadres à bons de commandes, ayant pour objet des prestations de diagnostics et de préconisations structures pour la Ville et l’établissement public Paris Musée, réparties en trois lots. Le lot n° 1 a été attribué à cinq candidats, dont le groupement d’entreprises composées de la société 2 CPI France et Dekra Industrial.
La société Sixense Engeneering, candidat évincé, a alors saisi le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article R. 551-1 du code de justice administrative en vue d’obtenir l’annulation de la procédure de passation de ce lot n° 1 ; conclusions auxquelles il a été fait droit en première instance au motif, notamment, que la Ville avait commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant l’offre de ce groupement, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 111-25 précité du CCH.
Saisi d’un pourvoi formé par la Ville de Paris, le Conseil d’Etat a cependant considéré qu’en annulant la procédure « sans rechercher si les manquements ainsi relevés étaient susceptibles d’avoir lésé la société Sixnse Engineering », le juge des référés avait « méconnu son office et commis une erreur de droit ».
Mais réglant l’affaire au fond sur le fondement de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, les juges ont non seulement rappelé cette incompatibilité absolue des missions de contrôleur technique avec l’exercice de toute activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage mais ont également pris soin de préciser qu’il résultait de l’article R. 111-31 du CCH (qui rappelle l’obligation d’impartialité des contrôleurs techniques), que ces dispositions faisaient « obstacle à la participation des personnes agréées au titre du contrôle technique à un groupement d’entreprises se livrant à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage » et ce « alors même que la répartition des missions entre les membres du groupement prévoirait qu’elle ne réalisent pas elles-mêmes des missions relevant du champ de l’incompatibilité prévue par l’article L. 111-25 du même code ».
CE, 27 avril 2021, Ville de Paris, req. n° 447221, mentionné aux Tables