L’interruption du délai de prescription décennale à l’égard des assureurs du maître d’ouvrage et des intervenants au chantier
A l’occasion d’une action en référé expertise initiée par la Communauté de communes du Haut-Jura au sujet de désordres affectant la toiture terrasse de la médiathèque communautaire de Saint-Claude, le Conseil d’Etat fait le point sur les modalités et sur les conditions de mise en cause de l’assureur des constructeurs.
Le Conseil d’État a tout d’abord confirmé la position jurisprudentielle désormais constante en matière de prescription (CE, 20 novembre 2020, Société Véolia Eau – Compagnie générale des eaux, req. n° 432678, mentionné aux Tables ; CAA Lyon, 15 novembre 2012, Société Paralu, req. n° 11LY02971 ; CAA Nancy, 27 décembre 2019, Société Eiffage Construction Alsace, req. n° 18NC02022 ; CAA Nantes, 22 janvier 2021, Arlab SARL d’architecture, req. n° 19NT04867), tout en précisant que celle-ci avait pleinement vocation à s’appliquer en matière de référé. Ainsi, « alors même que l’article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes « signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire », termes qui n’ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d’étendre le bénéfice de la suspension ou de l’interruption du délai de prescription à d’autres personnes que le demandeur à l’action. Il en résulte qu’une citation en justice, au fond ou en référé, n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait ».
S’agissant des assureurs des constructeurs, il en résulte donc que la prescription décennale ne pourra être interrompue à leur égard qu’à la condition que celui-ci (et non pas seulement le constructeur) ait été cité en justice par le demandeur à l’action. Dans l’hypothèse où l’action ne viserait que l’assureur du constructeur au titre de la garantie décennale souscrite par le constructeur, le demandeur devra alors veiller à « préciser en quelle qualité l’assureur est mis en cause et mentionner l’identité du constructeur assuré ». En revanche (et de manière parfaitement logique au regard du principe général précédemment rappelé), le Conseil d’Etat précise que la prescription ne peut être interrompue au profit d’une partie lorsque les opérations d’expertise « ont déjà été étendues à cet assureur par le juge, d’office ou à la demande d’une autre partie ».
S’agissant de l’assureur du maître d’ouvrage, dès lors que celui-ci est susceptible d’être subrogé dans les droits de son assuré, il bénéficie pour ce qui le concerne « de l’effet interruptif d’une citation en justice à laquelle le maître d’ouvrage a procédé dans le délai de garantie décennale ». Le Conseil d’État vient donc ici réaffirmer la solution déjà dégagée dans sa décision Société Ace Insurance (CE, 12 mars 2014, req. n° 364429, mentionné aux Tables) et constamment reprise par les juges du fond, qui ont notamment précisé que cet effet interruptif bénéficiaire à l’assureur « alors même qu’à la date de cette citation, n’ayant pas payé l’indemnité d’assurance, il ne serait pas encore subrogé dans les droits de son assuré » (CAA Paris, 8 mars 2019, Société Bonaud, req. n° 16PA01572).
CE, 4 février 2021, SMABTP, req. n° 441593, mentionné aux Tables