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L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19: vaste nébuleuse

31 mars 2020

Prise sur le fondement de l’article 11-1°-f) de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’ordonnance n° 2020-319 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19, a finalement été publié au JORF mercredi 26 mars dernier.

Ce texte tant attendu vient encadrer de manière juridiquement plus rigoureuse la situation actuelle, jusqu’alors évoquée par des supports de communication à la valeur juridique pour le moins incertaine et s’inscrivant en contradiction les uns des autres au fur et à mesure du développement des évènements. Ainsi, exit la force majeure dont le Ministre de l’Économie et la Direction des Affaires Juridiques de Bercy s’étaient immédiatement saisis, en appelant les acheteurs publics à en reconnaitre le bénéfice aux cocontractants rencontrant des difficultés d’exécution. Cette ordonnance vient au contraire définitivement entériner les orientations résultant de l’accord trouvé entre les Fédérations du Bâtiment et le Gouvernement, formalisé dans un communiqué du 21 mars dernier dans lequel les parties ont adopté une position commune en faveur de la poursuite de l’activité, sous réserve toutefois de la mise en place de procédures spécifiques indispensables à la préservation de la santé des salariés. L’heure est donc bien à la reprise des travaux (ou des prestations de manière plus générale) dans le cadre d’un régime temporaire d’exception se voulant favorable aux entreprises titulaires, qui devront néanmoins veiller à « justifier la nécessité d’y recourir ».

Aux termes de son article 1er et d’un point de vue organique, cette ordonnance a vocation à s’appliquer « aux contrats soumis au code de la commande publique ainsi qu’aux contrats publics qui n’en relèvent pas », à savoir – comme est venu le préciser la DAJ dans sa fiche mise à jour le 26 mars dernier – à « l’ensemble des contrats qui s’inscrivent dans la sphère publique, c’est-à-dire les contrats des personnes morales de droit public ainsi que ceux qui sont conclus par les personnes morales de droit privé qui répondent à la définition du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice au sens des articles L. 1211-1 et L. 1212-1 du code de la commande publique ». Les contrats conclus par les SPL et certaines SEM et SEMOP (à condition que ces dernières puissent être qualifiées d’organismes de droit public) entreront donc probablement dans le champ d’application de ces dispositions. D’un point de vue temporel, il est ensuite précisé que ce texte sera applicable aux contrats en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 (il est donc rétroactif) jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée d’une durée de deux mois.

En outre, il convient de noter que cette ordonnance est supplétive, en ce qu’elle n’a en principe vocation à s’appliquer qu’en cas de dispositions, y compris contractuelles, moins favorables, raison pour laquelle ce dispositif apparait – sur ce plan du moins – particulièrement favorable aux entreprises, en permettant de déroger à la force obligatoire de certains de leurs engagements initiaux.

S’agissant ensuite des dispositions de fond, et pour ce qui concerne les marchés publics (pour les concessions, voir ici), l’ordonnance vient concrètement répondre à certaines des préoccupations prégnantes liées aux difficultés rencontrées tant par les acheteurs que par les titulaires.

Elle permet tout d’abord un assouplissement notoire s’agissant des procédures de passation :

  • En prescrivant la prolongation (sauf pour les prestations ne pouvant souffrir d’aucun retard) des délais de réception des candidatures et des offres d’une durée suffisante pour permettre aux opérateurs économiques de soumissionner (article 2).

Les cas pouvant être rencontrées sont multiples : en cas de visite ne pouvant être organisée pour le moment, ou encore de modification importante du DCE, l’impossibilité de remettre des échantillons prévus au DCE, absence de personnel permettant de mener à bien la procédure, indisponibilité de la CAO…

L’acheteur devra alors veiller à publier un avis rectificatif et procéder à la modification afférente du DCE. En outre, ainsi que le conseille la DAJ dans son document de questions/réponses publié le 30 mars 2020 sur son site, il pourrait également doubler cette information par l’envoi d’un message à l’ensemble des opérateurs économiques qui auraient déjà retiré le dossier de consultation, ou déjà déposé leur candidature ou leur offre.

  • En autorisant l’aménagement, en cours de procédure, des modalités de mise en concurrence dans le respect du principe d’égalité et de traitement des candidats (article 3), les acheteurs pouvant ainsi par exemple prévoir la dématérialisation des réunions de négociation initialement prévues en présentiel, tout en veillant, naturellement, à en informer suffisamment en amont l’ensemble des candidats et en consignant l’ensemble des échanges permettant de démontrer le respect de ces principes. En revanche, la DAJ rappelle que seraient illégales « des modifications substantielles et donc irrégulières celles qui toucheraient notamment la définition même de l’objet du contrat ».
  • En autorisant la prolongation des contrats par avenant au-delà de leur durée initiale, ceci afin de faire face à l’arrivée du terme de contrats pendant la période de l’état d’urgence sanitaire et ainsi permettre aux acteurs publics qui seraient dans l’impossibilité d’organiser une nouvelle procédure de dévolution concurrentielle, de pouvoir assurer la continuité de la satisfaction de leurs besoins.

S’agissant des accords-cadres, cette prolongation pourra même excéder la durée prévue aux articles L. 2125-1 (4 ans et 8 ans) et L. 2325-1 (7 ans en matière de défense et de sécurité) du code de la commande publique, sans qu’elle ne puisse toutefois dépasser, dans tous les cas, « celle de la période prévue à l’article 1er, augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration » (article 4).

Ensuite, s’agissant des dispositions propres limiter les difficultés de trésorerie rencontrées par les entreprises, l’ordonnance prévoit le versement d’avances pouvant excéder le plafond de 60% du montant initial du marché, fixé par l’article R. 2191-8 du code de la commande publique, ainsi que la possibilité de dispenser les entreprises de constituer une garantie à première demande lorsque le montant de l’avance versée est supérieur à 30% du montant ou du bon de commande.

Enfin, s’agissant de l’exécution des contrats entrant dans le champ d’application du texte, il convient de se reporter à l’article 6 de l’ordonnance, qui prévoit quatre cas distincts :

  • Cas n° 1 : l’exécution des prestations demeure possible, sans que le titulaire ne soit toutefois en mesure de respecter les délais contractuellement convenus ou que cela nécessiterait la mobilisation de moyens qui feraient peser sur lui une charge manifestement excessive.

Dans ce cas, le titulaire devra, « avant l’expiration du délai contractuel » et après avoir démontré qu’il se trouverait dans une telle situation, solliciter la prolongation des délais auprès de l’acheteur, qui sera a priori tenu d’y déférer pour une durée « au moins équivalente à celle mentionnée à l’article 1er ». Cependant, ces dispositions ne trouvant en principe à s’appliquer sauf dispositions favorables, les stipulations de l’article 19.2 du CCAG-Travaux pourraient sembler, à cet égard, plus souples et donc plus bénéfiques aux entreprises.

Par ailleurs, sur ce point, la DAJ – ramenant dos à dos les acheteurs et leurs cocontractants – a précisé, dans son document de questions/réponses précité, que les acheteurs peuvent également décider de suspendre l’exécution du marché, notamment par pure mesure de précaution et sans même qu’une situation de force majeure ne soit caractérisée – tout en relevant que, dans cette hypothèse, « l’acheteur est alors susceptible de devoir indemniser le titulaire si cette suspension lui occasionne un préjudice, à condition que l’entreprise en apporter la preuve et justifie de l’évaluation du montant du préjudice ». Cela ne va évidemment pas dans le sens d’un dialogue apaisé entre les parties prenantes, qui ne manqueront pas de se disputer l’origine d’une telle décision de suspension qui se révèlera par la suite déterminante quant au régime indemnitaire applicable.

  • Cas n° 2 : le titulaire s’avère dans l’impossibilité d’exécuter les prestations contractuelles faute de moyens suffisants ou leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive.

Dans ce cas, l’acheteur ne pourra pas appliquer au titulaire de pénalités pour ce motif. Cependant, pour en bénéficier, il appartiendra à l’entreprise de constituer les preuves nécessaires à la démonstration qu’il ne peut réaliser les prestations prévues au marché, notamment en raison de l’impossibilité de mettre en œuvre les règles sanitaires de protection des salariés. Cette décision devrait en principe résulter d’un ordre de service, de préférence motivé et suivi d’un constat contradictoire réalisé entre les parties, ainsi qu’est venu le préciser la DAJ dans son document de questions/réponses.

L’ordonnance prévoit également, dans cette hypothèse, que l’acheteur pourra, s’agissant de la satisfaction de besoins ne pouvant souffrir aucun retard, conclure un marché de substitution avec un tiers, sans que cette exécution puisse être mise à la charge du titulaire empêché. En fonction de l’urgence s’attachant à la réalisation des prestations en cause, ce marché de substitution pourra être conclu, le cas échéant, sans publicité ni mise en concurrence, en application des articles R. 2122-1 et R. 2322-4 du code de la commande publique.

  • Cas n° 3 : l’acheteur est contraint d’annuler un bon de commande déjà émis ou de résilier le marché en cours du fait des mesures adoptées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Dans cette hypothèse, le titulaire pourra être indemnisé « des dépenses engagées lorsqu’elles sont directement imputables à l’exécution » du bon de commande annulé ou du marché résilié. Sur ce point, la DAJ a précisé qu’à condition que le contrat de s’y oppose pas, cette disposition ne fait naturellement pas obstacle à une indemnisation complémentaire du titulaire au titre de son manque à gagner du fait de l’inexécution des prestations en application de la jurisprudence administrative en cas de réalisation pour motif d’intérêt général. En revanche, « si les circonstances qui ont conduit à la résiliation ou à l’annulation des prestations constituent un cas de force majeure, seules les dépenses réelles et utiles pour l’exécution des prestations pourront faire l’objet d’une indemnisation ».

  • Cas n° 4 : l’acheteur est « conduit » à suspendre un marché forfaitaire.

Dans cette hypothèse, par dérogation de la règle du service fait, l’acheteur devra régler au titulaire le montant du forfait, un avenant devant par la suite venir déterminer « les modifications du contrat éventuellement nécessaire, sa reprise à l’identique ou sa résiliation ainsi que les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l’acheteur ». Cette disposition qui ne manquera surement pas d’interpeller le lecteur avisé sur le choix d’un procédé bilatéral, notamment s’agissant de la résiliation d’un contrat administratif.

Aussi, si cette ordonnance permet de répondre à certaines situations, elle laisse en suspens de nombreuses questions, au premier plan desquelles celle de savoir ce que recouvre la notion de suspension par rapport à l’ajournement prévu à l’article 49 du CCAG-Travaux et du régime qui devra s’appliquer dans un tel cas.

En outre, l’ordonnance comme la DAJ se montrent plus que frileuses sur la détermination des modalités indemnitaires qui pourront découler des diverses hypothèses d’arrêt, l’état du droit étant à ce stade lacunaire, et son interprétation contradictoire. Sur ce point, la publication attendue du guide de bonnes pratiques pour garantir la sécurité sanitaire sur les chantiers, annoncée par le Gouvernement dans son communiqué du 21 mars dernier, dont la valeur juridique interroge toujours, ne manquera pas d’influencer les justifications que pourront apporter les entreprises au soutien d’une demande de « suspension » ou de prolongation.

Autant de questions qui ne manqueront pas de se poser à l’issue de la période réglementaire définie par l’ordonnance. Reculer pour mieux sauter ?

Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19

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