Occupation irrégulière du domaine public routier : compétence du juge judiciaire

15 octobre 2025

La Haute juridiction vient de juger que relèvent de la compétence du juge judiciaire non seulement les actions tendant à l’expulsion d’occupants sans droit ni titre du domaine public routier, mais également celles tendant à l’indemnisation des conséquences de cette occupation irrégulière, quand bien même celles-ci seraient seulement pécuniaires.

 

Dans cette affaire, la Ville de Paris a, en 1968, conclu avec la Société de Gestion Immobilière (SAGI) un contrat d’une durée de 70 ans lui confiant la charge de construire et de gérer trois bâtiments d’habitation comprenant notamment un parc de stationnement en sous-sol. La construction et la gestion de ce parking ont par la suite été déléguées à la société Parking Convention via un sous-contrat conclu avec la SAGI, pour une durée de 50 ans, jusqu’en 2021. A l’approche de cette échéance, la Ville de Paris – qui entre-temps avait mis fin au bail emphytéotique la liant à la SAGI et s’était pas conséquent substituée dans ses droits – a invité la Société Parking Convention à quitter les lieux, ce que celle-ci a refusé, au motif qu’elle serait titulaire d’un bail commercial.

La Ville a alors saisi le Tribunal administratif de Paris d’une action tendant à l’expulsion de cette société ainsi qu’à sa condamnation à lui verser la somme de 20 583 euros par mois pour occupation sans titre du domaine public. Les premiers juges ont fait droit à cette demande, ce jugement ayant par la suite été confirmé en appel. La société Parking Convention s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat, en contestant notamment la compétence du juge administratif pour connaitre d’un tel litige.

La question était alors double puisqu’il s’agissait de déterminer le juge compétent pour statuer sur la demande d’expulsion et, par ailleurs, sur la demande indemnitaire.

(i) Le premier point ne posait pas de difficulté particulière : dans la continuité de la jurisprudence du Tribunal des conflits (TC, 17 juin 2024, Compagnie Parisienne de services, req. n° C4312), le Conseil d’Etat a considéré que l’ouvrage en cause, propriété de l’Etat, relevait dans son ensemble du domaine public routier puisqu’« accessible aux véhicules terrestres à moteur circulant sur la voie publique et abritant des places de stationnement temporaires ouvertes à tout automobiliste, même s’il comporte par ailleurs des places faisant l’objet d’une location longue durée ».

Le fait que parmi les 498 places de ce parking, 98 soient affectés aux locataires des appartements situés en surplomb et 200 à la location longue durée, n’est donc pas de nature, selon la théorie de la domanialité publique globale, à remettre en cause l’appartenance de l’ouvrage, dans son ensemble, au domaine public routier.

Or, sur le fondement de l’article L. 116-1 du Code de la voirie routière – selon lequel « la répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier est poursuivie devant la juridiction judiciaire sous réserve des questions préjudicielles relevant de la compétence de la juridiction administrative » – une jurisprudence aussi ancienne que constante considère qu’il n’appartient qu’à la seule juridiction judiciaire de connaître de la demande d’une personne publique tendant à l’expulsion d’un occupant sans titre d’une dépendance du domaine public routier.

C’est ce qu’est venu réaffirmer le Conseil d’Etat dans cette décision.

 

(ii) En revanche, le second point consistant à déterminer le juge compétent pour connaitre de la demande de la personne publique tendant à la condamnation de cet occupant à lui verser une indemnité ne relevait pas d’une telle évidence et c’est là que se situe le véritable apport de l’arrêt.

En application de l’article L. 116-1 précité, la jurisprudence considère de manière constante que le juge judiciaire est compétent pour se prononcer sur la réparation d’un dommage causé au domaine public routier, mais seulement dans les cas dans lesquels une contravention à la police de la conservation du domaine public routier est constituée, que cette contravention ait été poursuivie ou non. La question se posait donc de savoir si, même en l’absence d’atteinte à l’intégrité du domaine public, sa seule occupation sans titre pouvait constituer une telle contravention, autorisant le juge judiciaire à se prononcer sur les conséquences pécuniaires en résultant.

C’est par l’affirmative que le Conseil d’Etat y répond, en considérant que l’occupation sans titre du domaine public routier entre dans le champ d’application des 1° et 3° de l’article R. 116-2 du Code de la voirie routière, selon lesquels « seront punis d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ceux qui : 1° Sans autorisation, auront empiété sur le domaine public routier ou accompli un acte portant ou de nature à porter atteinte à l’intégrité de ce domaine ou de ses dépendances, ainsi qu’à celle des ouvrages, installations, plantations établis sur ledit domaine […] » ; 3° Sans autorisation préalable et d’une façon non conforme à la destination du domaine public routier, auront occupé tout ou partie de ce domaine ou de ses dépendances ou y auront effectué des dépôts ».

Ainsi, en application de ces dispositions et selon la logique des blocs de compétences, la Haute juridiction considère le juge judiciaire seul compétent pour juger « tant les demandes tendant à l’expulsion des occupants sans titre de dépendances du domaine public routier que celles tendant à ce qu’ils soient condamnés à réparer les préjudices, y compris pécuniaires, causés par leur occupation du domaine ».

Le juge administratif devrait cependant demeurer compétent pour connaitre, en l’absence de contravention de voirie routière, des actions indemnitaires dirigées contre les occupants titrés du domaine public routier ou encore celles dirigées contre le refus de l’autorité administrative compétente d’engager des poursuites pour contravention de voirie.

 

CE, 17 septembre 2025, Société Parking Convention, req. n° 494428, publié au Recueil.

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