Dans un avis très attendu par les professionnels, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions sur la procédure de délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale et sur les effets d’un recours dirigé contre ledit permis.
Rappelons brièvement que depuis l’entrée en vigueur de la loi Pinel du 18 juin 2014, « lorsqu’un projet est soumis à autorisation d’exploitation commerciale [AEC], le permis de construire tient lieu d’autorisation dès lors que la demande de permis a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial [CDAC] ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial [CNAC] » (art. L. 425-4 du Code de l’urbanisme). Cette simplification procédurale a toutefois généré des difficultés ayant conduit à la saisine pour avis du Conseil d’État.
Les faits de l’espèce sont simples : la société LIDL souhaitant rénover et agrandir l’un de ses magasins, elle a déposé successivement une demande de permis de construire et une demande d’extension de la surface de vente, alors que la fusion des deux autorisations était déjà actée. Le maire de Sedan et la CDAC ont fait droit à ses demandes respectives, mais à la suite d’un recours formé par un concurrent, la CNAC a refusé le projet d’extension de la surface de vente du magasin. La société LIDL se trouvant titulaire d’un permis de construire, mais dépourvue de l’AEC nécessaire à la conduite du projet, le concurrent a donc formé un recours en annulation contre l’arrêté délivrant le permis de construire.
Après avoir tranché un débat relatif à l’applicabilité de la loi Pinel – qui ne sera pas évoqué ici –, la Cour administrative d’appel de Nancy n’a pas souhaité prendre position sur la recevabilité du recours et la validité du permis de construire, préférant soumettre à l’avis du Conseil d’État plusieurs interrogations.
Dans l’avis commenté, le Conseil d’État rappelle le cadre juridique applicable aux permis de construire valant AEC et se prononce sur les questions posées par la Cour, fournissant à cette occasion d’utiles précisions pour les collectivités locales et les professionnels du secteur.
Premièrement, le Conseil d’État aborde la difficulté procédurale résultant de la délivrance d’un permis de construire valant AEC avant que la CNAC, saisie d’un recours dirigé contre l’avis de la CDAC, ait pu rendre son propre avis.
En théorie, puisque l’autorité compétente en matière de permis de construire est nécessairement informée de l’introduction d’un recours contre l’avis de la CDAC (art. R. 752-32 et R. 752-42 du Code de commerce), elle « doit attendre l’intervention de l’avis, exprès ou tacite, de la CNAC pour délivrer le permis ». Toutefois, le Conseil d’État précise que le non-respect de cette exigence n’est pas source d’illégalité : « un permis de construire valant AEC délivré avant l’expiration [du délai de recours contre l’avis de la CDAC] ne se trouverait pas entaché d’illégalité de ce seul fait ».
En d’autres termes, la délivrance d’un permis de construire postérieurement à l’avis de la CNAC ne constitue pas une obligation, mais une simple recommandation dictée par le souci de garantir la sécurité juridique des autorisations d’exploitation commerciale. En effet, si la CNAC rend un avis négatif après que le permis de construire valant AEC a été délivré, la légalité de ce dernier pourrait être remise en cause ultérieurement. Partant, ce risque incite le Conseil d’État « à recommander à l’administration d’éviter de délivrer le permis avant l’expiration de ce délai ».
Deuxièmement, le Conseil d’État clarifie la procédure contentieuse contre un permis de construire valant AEC en fournissant trois précisions importantes :
- d’abord, il se prononce sur le point de départ du délai de recours contentieux contre un permis de construire en ce qu’il tient lieu d’AEC. Par principe, l’on sait que ce délai « court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain» (art. R.600-2 du Code de l’urbanisme). Dans la mesure où « les professionnels mentionnés au I de l’article L.752-17 du Code de commerce [i.e. les concurrents] sont des tiers [au sens de l’article précité] », c’est le droit commun qui s’applique. Ainsi, « bien qu’ils ne soient pas nécessairement voisins du projet, le délai de recours contentieux à l’encontre du permis court à leur égard, comme pour tout permis de construire, à compter de la date prévue [à] l’article R.600-2 » ;
- ensuite, le Conseil d’État se penche sur l’articulation entre saisine de la CNAC et introduction d’un recours contentieux contre le permis de construire valant AEC. Rappelant que la saisine de la CNAC, « préalable obligatoire à tout recours contentieux», doit intervenir dans le délai d’un mois suivant l’avis de la CDAC, la Haute Cour estime « exceptionnel » le cas où ladite saisine interviendrait avant que le délai de recours contentieux évoqué supra soit expiré. Et, quand bien même cette hypothèse se réaliserait, la saisine de la CNAC « n’aurait pas pour effet d’interrompre le délai de recours contentieux ». Toutefois, ce principe ne prive pas le concurrent de toute possibilité d’agir. Car si la CNAC rend son avis après la délivrance du permis de construire valant AEC, « la publication de cet avis […] ouvre [au concurrent] un délai de recours de deux mois contre le permis ». Et ce, quand bien même le délai de recours contentieux « classique » prévu à l’article R.600-2 précité serait expiré ;
- enfin, il précise que les dispositions de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, qui prévoient la notification obligatoire du recours contentieux à l’auteur de la décision attaquée et au titulaire de l’autorisation, « s’appliquent, comme pour tout permis de construire, au recours formé par un professionnel […] contre un permis de construire valant AEC».
Troisièmement, l’avis commenté vient clarifier les effets de l’annulation contentieuse d’un permis de construire valant AEC.
L’on sait que les professionnels mentionnés à l’article L. 752-17 du Code de commerce, tels que les concurrents, ne peuvent former un recours en annulation contre un permis de construire valant AEC qu’en tant que ce permis tient lieu d’une telle autorisation. Cette restriction des moyens invocables a un impact sur le juge saisi : celui-ci ne pouvant statuer ultra petita, il ne peut annuler le permis que sur la base d’un moyen invoqué dans les conclusions dont il est saisi.
Cependant, dès lors qu’un permis de construire valant AEC ne peut être légalement délivré que si le pétitionnaire dispose bien d’une autorisation d’urbanisme commercial, l’annulation du permis en tant qu’il tient lieu d’une telle autorisation fait obstacle à la réalisation du projet. En d’autres termes, bien que le permis de construire ne soit que partiellement annulé, cette décision s’oppose à la conduite du projet dans son ensemble.
Afin de garantir la pérennité du projet, le Conseil d’État prévoit une solution intermédiaire, qui s’inspire des dispositions de l’article L. 425-4 du Code de l’urbanisme. En effet, « si les modifications nécessaires pour mettre le projet en conformité avec la chose jugée par la décision d’annulation [= au regard de la législation en matière d’urbanisme commercial] sont sans effet sur la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et règlementaires mentionnées à l’article L.421-6 du Code de l’urbanisme [= volet « construction » du permis], un nouveau permis de construire valant AEC peut, à la demande du pétitionnaire, être délivré au seul vu d’un nouvel avis favorable de la CDAC compétente ou, le cas échéant, de la commission nationale ». De ce fait, il n’est pas nécessaire de procéder à une nouvelle instruction du permis de construire stricto sensu, mais uniquement de son volet correspondant à l’autorisation d’exploitation commerciale. À cet égard, l’avis commenté précise que les dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme qui permettent de régulariser le vice affectant un permis de construire par la délivrance d’un permis modificatif s’appliquent aux permis de construire valant AEC.
En résumé, cet avis du Conseil d’État, attendu avec impatience par les autorités compétentes en matière de délivrance des autorisations d’urbanisme et par les professionnels du secteur, fournit des clarifications bienvenues sur le régime procédural et contentieux des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, tout en cherchant à sécuriser les projets en cours.
Références
CE avis, 23 décembre 2016, Sté MDVP Distribution, n°398077 – Publié au Recueil