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Conclusion d’un bail à construction sur le domaine public : admission sous réserves

31 mai 2016

Par un arrêt du 11 mai 2016, le Conseil d’État fournit d’importantes précisions sur les modalités de conclusion d’un bail à construction sur le domaine public.

À l’origine de cette affaire se trouve la volonté de la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (MPM) de fermer la décharge d’Entressen qui pouvait se prévaloir du titre – peu glorieux – de plus grande décharge à ciel ouvert d’Europe. Dans ce but, MPM a opté pour un montage relativement simple : d’un côté, elle attribue une délégation de service public portant sur le traitement des déchets par incinération et de l’autre, elle conclut avec le Port Autonome de Marseille (PAM) un bail à construction portant sur l’édification – sur un terrain appartenant au PAM et située sur le territoire de la commune de Fos-sur-Mer – d’installations de traitement des déchets. Enfin, une clause du bail autorise la cession temporaire de la convention au titulaire de la DSP.

À l’issue d’un véritable marathon judiciaire, les délibérations nécessaires ont finalement été adoptées (attribution de la DSP, signature et accord sur la cession temporaire du bail, acceptation de la cession de créance du délégataire…), mais ont de nouveau été contestées par des associations de protection de l’environnement et des contribuables locaux.

Par un jugement du 4 juillet 2014, le Tribunal administratif de Marseille a prononcé l’annulation des deux délibérations aux motifs que « le terrain d’assiette de l’opération envisagée appartenait au domaine public » et que « les stipulations du bail à construction, qui impliquent la constitution de droit réel sur le domaine public, sont illégales en l’absence de disposition législative autorisant la constitution de tels droits ». Saisie par MPM, la Cour administrative d’appel a censuré le jugement – rendu à l’issue d’une procédure irrégulière –, mais a conclu à l’annulation de la délibération approuvant la DSP et la cession du bail pour des motifs identiques à ceux retenus par le Tribunal.

MPM s’étant pourvue en cassation, le Conseil d’État a saisi l’occasion qui lui était offerte pour admettre la conclusion d’un bail à construction sur le domaine public tout en encadrant son contenu.

D’abord, le Conseil d’État confirme le raisonnement des juges du fond s’agissant de l’appartenance du terrain au domaine public. Appliquant la théorie de la domanialité publique virtuelle – en vigueur avant l’adoption du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) et dont la « résurrection » a été récemment consacrée –, elle constate que « le terrain […] a été affecté au service public du traitement des déchets », ce qui était expressément prévu par les stipulations du bail à construction. Partant, « le terrain sur lequel a été édifié l’unité de traitement des déchets était entré dans le domaine public du [PAM] dès la conclusion de la convention ». Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce – le terrain appartient au PAM, mais est affecté au service public géré par MPM –, l’arrêt précise (comme il avait déjà eu l’occasion de le faire) que « la condition d’affectation au service public est regardée comme remplie alors même que le service public en cause est géré par une collectivité publique différente de la collectivité publique qui est propriétaire ».

Ensuite, le Conseil d’État juge que « le droit réel dont bénéficie […] le titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire [AOT] du domaine de l’État, ne porte pas uniquement sur les ouvrages, constructions et installations que réalise le preneur mais inclut le terrain d’assiette de ces constructions ». Ce faisant, elle tranche une question débattue s’agissant de la consistance du droit réel conféré au titulaire d’une AOT par l’article L. 2122-6 du CGPPP, et se range à la position soutenue par la quasi-totalité de la doctrine. Ainsi, la CAA a commis une erreur de droit « en jugeant que la convention […] était incompatible avec les règles de gestion du domaine public au seul motif qu’un bail à construction confère au preneur […] des droits réels sur le sol ».

Enfin, les juges du Palais Royal admettent la légalité d’un bail à construction conclu sur le domaine public en relevant qu’ « aucune disposition ni aucun principe n’interdit que l’État et ses établissements publics puissent autoriser l’occupation d’une dépendance du domaine public en vertu d’une convention par laquelle l’une des parties s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain de l’autre partie et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée de la convention et qui, comme les autorisations d’occupation constitutives de droits réels, confère un droit réel immobilier ». En effet, dès lors que le titulaire d’une AOT sur le domaine public de l’État et ses établissements publics dispose d’un droit réel (article L.2122-6 précité) – lequel porte tant sur les ouvrages édifiés par le preneur que sur le terrain d’assiette – et que l’octroi d’un droit réel concerne les « conventions de toutes natures ayant pour effet d’autoriser l’occupation du domaine public » (article L.2122-11 CGPPP), le Conseil d’État en déduit logiquement que le bail à construction est « éligible » à ces dispositions. Toutefois, vu les spécificités du bail à construction (articles L.251-1 et s. du Code de la construction et de l’habitation) et le caractère d’ordre public des règles régissant le domaine public, le Conseil d’Etat conditionne la légalité d’une telle convention au respect des « dispositions applicables aux AOT du domaine public de l’État constitutives de droits réels ».

En l’espèce, le Conseil d’État conclut donc à l’illégalité de la convention dès lors qu’elle « ne comporte pas toutes les clauses requises » (ex : agrément préalable du bailleur à la cession des droits réels…) et qu’elle « contient des clauses incompatibles avec le droit du domaine public » (ex : possibilité pour le bailleur de recourir au crédit-bail…). Et, puisque la DSP, l’acte de cession et la promesse de rétrocession du bail « forment un ensemble indivisible avec les autres stipulations approuvées par la délibération attaquée », celle-ci est annulée dans son intégralité – le Conseil d’État offrant néanmoins aux parties une possibilité de régularisation « en mettant en conformité les stipulations de la convention […] avec les dispositions du CGPPP aujourd’hui applicables ».

Reste à savoir comment ce montage, validé au regard de l’état du droit applicable au moment des faits, pourrait s’inscrire dans le nouveau droit des marchés publics, issu de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics (sur ce point, voir : N. Symchowicz, La réception des « montages contractuels complexes » par le nouveau droit des marchés publics, BJCP, avril 2016, n° 101).

Références

CE 11 mai 2016, Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole, req. n° 390118 – Publié au recueil Lebon

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